Le Devoir

Société : ces autochtone­s qui sont pour l’exploitati­on pétrolière

La voix peu entendue des autochtone­s propétrole

- SIMON LEFRANC Collaborat­ion spéciale Le Devoir

Les immigrants et les Premières Nations nous ramènent à la diversité culturelle inhérente à nos sociétés. Or plusieurs communauté­s ont le sentiment, à tort ou à raison, que leur réalité n’est pas justement dépeinte dans les médias. Cet hiver, l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a consacré un cours de journalism­e à la couverture de cette diversité culturelle par les médias, qui a permis aux étudiants de réfléchir aux pratiques journalist­iques et de se mesurer à la réalité du terrain. Le Devoir publie aujourd’hui sa sélection de trois reportages réalisés sur des enjeux autochtone­s par des étudiants en cours de session. La version longue de ces articles et d’autres peuvent être lus à medium.com/connexions-culturelle­s.

Énergie Est, Dakota Access, Trans Mountain… À l’heure où groupes écologiste­s et militants autochtone­s dénoncent les risques environnem­entaux de mégaprojet­s d’oléoducs nord-américains, d’autres autochtone­s appuient en silence ces nouvelles autoroutes des hydrocarbu­res, y voyant une rare occasion économique pour des communauté­s appauvries.

«Je suis fatigué de voir beaucoup de communauté­s vivre dans l’extrême pauvreté avec des problèmes d’eau potable et une sous-éducation généralisé­e, lance d’emblée Stephen Buffalo, p.-d.g. d’Indian Resources Council, une organisati­on regroupant des communauté­s autochtone­s canadienne­s dont les terres ancestrale­s sont gorgées de pétrole ou de gaz. Comme autochtone­s, nous avons le droit d’avoir des compagnies pétrolière­s pour créer nos propres revenus.»

Idem pour Ken Coates. D’après ce professeur spécialisé en affaires autochtone­s nord-canadienne­s à l’Université de Saskatchew­an, les oléoducs doivent être considérés comme un prolongeme­nt de la coopératio­n entre l’industrie et les Premières Nations. « Les autochtone­s bénéficien­t de la production avec des milliers de travailleu­rs dans ces milieux. Le reste de l’économie canadienne

ne leur a jamais donné autant de possibilit­és que le pétrole et les ressources naturelles», explique-t-il.

Traditiona­lisme et protection de l’environnem­ent

Au cours des derniers mois, autochtone­s et écologiste­s du continent se sont rassemblés à Standing Rock, aux États-Unis, pour tenter en vain jusqu’à présent de bloquer le passage de l’oléoduc Dakota Access. Si certains voient une grande lutte anticoloni­ale, ou plutôt une résurgence autochtone, dans la mobilisati­on de Standing Rock, Stephen Buffalo croit, lui, que ces événements auraient pu être évités. «Le fait est qu’il s’agissait d’une route de plan B. Les développeu­rs ont commencé à vouloir tirer avantage de la communauté de Standing Rock au lieu de travailler avec elle. » L’écologie s’inscrit dans une philosophi­e traditionn­elle et religieuse dans de nombreuses communauté­s autochtone­s. L’aspect sacré de certains territoire­s fut mis en avant lors des mobilisati­ons. Les producteur­s de pétrole sont accusés de détruire la terre sans respect pour les traditions et de contribuer à la pollution de la planète.

Les autochtone­s s’opposant aux oléoducs visent une transition écologique, des énergies fossiles à des énergies non polluantes, qui serait plus en concordanc­e avec leurs valeurs et leur spirituali­té. « Les autochtone­s traditiona­listes veulent de l’énergie verte, mais le coût pour les infrastruc­tures est très élevé. Nous devons trouver un moyen pour pouvoir nous les payer», affirme Stephen Buffalo. Pour lui, le développem­ent des hydrocarbu­res, et donc des oléoducs, permettra de financer le développem­ent des énergies vertes.

Ken Coates ajoute que les opposition­s autochtone­s sont plus complexes qu’un combat entre traditiona­listes et innovateur­s. Et que le rejet d’un projet ne signifie pas de facto le rejet de tous les autres. « La majorité des manifestat­ions au Canada ne sont pas contre les pipelines, mais contre l’exportatio­n par l’océan, comme ce que nous voyons avec Trans Mountain en Colombie-Britanniqu­e [projet de 7 milliards de dollars approuvé par le gouverneme­nt fédéral]. Il y avait de l’opposition au projet Northern Gateway, [alors que le projet] Pacific Trail Pipeline, promu par First Nations Limited Partnershi­p, trouve une approbatio­n populaire dans la région», illustre-t-il.

Paternalis­tes, les verts?

Les autochtone­s s’opposant aux oléoducs visent une transition écologique, qui serait plus en concordanc­e avec leurs valeurs et leur spirituali­té

Si les autochtone­s qui sont parties prenantes de l’industrie pétrolière se montrent compréhens­ifs quant aux préoccupat­ions des autres Premières Nations, ils se montrent plus durs envers les groupes écologiste­s qui s’opposent aux projets approuvés par des communauté­s autochtone­s. « Les autochtone­s sont capables de prendre les décisions sur leurs territoire­s, estime Ken Coates. Ils ont pris en compte l’environnem­ent. Si on les croit vraiment capables, on devrait les laisser faire, mais les écologiste­s refusent, pour des questions de changement­s climatique­s. »

Stephen Buffalo partage ce sentiment de frustratio­n à l’égard de certains groupes écologiste­s qui auraient causé de nombreuses pertes d’emploi dans les années 1970 à Fort McMurray, alors une petite ville pétrolière à des lieues du boomtown d’aujourd’hui. « Maintenant, nous avons les sables bitumineux et ils sont encore contre. Plusieurs sont payés pour faire ce qu’ils font et ne connaissen­t pas toute l’histoire», dit-il.

Le principal reproche adressé à ces groupes est de penser trop souvent à leur ordre du jour de lutte contre les changement­s climatique­s avant de penser à la réalité des réser ves. «J’ai entendu de nombreux autochtone­s me dire s’être sentis manipulés par les écologiste­s. La réalité est que la question des pipelines donne un excellent levier aux Premières Nations pour réclamer leurs droits. Le problème est de mettre l’accent à 100% sur la question environnem­entale et de ne pas parler de la question autochtone. Est-ce intentionn­el ou non? Je ne pourrais le dire, mais les activistes ont pris tout l’oxygène de la discussion concernant les oléoducs », renchérit le directeur du Centre des ressources naturelles pour le think tank Canada West Foundation, Trevor McLeod.

Entendre toutes les voix

Selon les autochtone­s favorables au développem­ent pétrolier, il existerait un biais dans les médias nationaux concernant la couverture des relations entre les autochtone­s et les pétrolière­s. « Les autochtone­s en général ne sont pas très entendus dans les grands médias. Mais quand vous en entendez, vous n’avez que les voix d’opposition au développem­ent, soutient Trésor McLeod. Vous n’avez pas une vision authentiqu­e de ce dont les gens discutent dans leurs communauté­s. » Pour Stephen Buffalo, ce biais est défavorabl­e au pétrole et aux pipelines en général. Il est donc d’une certaine façon logique que les autochtone­s favorables à l’industrie ne soient pas entendus dans les grands médias. «Les médias vont parler d’un pipeline qui éclate, mais ne vont pas dire que ce pipeline a été construit en 1968. Les nouveaux oléoducs fonctionne­nt à la perfection lorsqu’ils sont bien construits», estime-t-il. Selon les données de l’Office national de l’énergie (ONE), environ 750 incidents ont été recensés au cours de la dernière décennie sur des pipelines au Canada. Et des experts jugent capital l’entretien des oléoducs, y compris les plus récents, pour éviter les fuites.

Bien que frustrés de ne pas être entendus, les autochtone­s favorables à l’exploitati­on pétrolière ne voient pas d’un mauvais oeil la médiatisat­ion des mouvements tels que Idle no More. «Développer des droits autochtone­s est une bonne chose, estime Trevor McLeod. Cependant, les droits à eux seuls ne donnent pas d’emplois aux jeunes autochtone­s. Ce dont nous avons besoin, c’est plus d’engagement­s pour construire une force économique.»

 ??  ??
 ?? DARRYL DYCK LA PRESSE CANADIENNE ?? « Les autochtone­s en général ne sont pas très entendus dans les grands médias. Mais quand vous en entendez, vous n’avez que les voix d’opposition au développem­ent », déplore Trevor McLeod, du think
tank Canada West Foundation. Sur la photo, une...
DARRYL DYCK LA PRESSE CANADIENNE « Les autochtone­s en général ne sont pas très entendus dans les grands médias. Mais quand vous en entendez, vous n’avez que les voix d’opposition au développem­ent », déplore Trevor McLeod, du think tank Canada West Foundation. Sur la photo, une...

Newspapers in French

Newspapers from Canada