La bohème, digne mais pas impérissable
LA BOHÈME Opéra de Giacomo Puccini. Avec France Bellemare (Mimi), Luc Robert (Rodolfo), Lucia Cesaroni (Musetta), Justin Welsh (Marcello), Christopher Dunham (Schaunard), Alexandre Sylvestre (Colline), Claude Grenier (Benoit et Alcindoro), Orchestre Métropolitain, James Meena. Mise en scène : Alain Gauthier. Décors Olivier Landreville. Costumes: Opéra de Montréal. Éclairages : Claude Accolas. Salle Wilfrid-Pelletier, samedi 20 mai 2017. Reprises les 23, 25 et 27 mai. Le 27 mai : projection gratuite au stade Percival-Molson dans le cadre du 375e anniversaire de la ville de Montréal. Réservation obligatoire: laboheme.operademontreal.com
La bohème est une vache à lait programmatique: un ouvrage qui remplit les salles. La gestion responsable d’une institution veut donc qu’on fasse au mieux en dépensant le minimum et, surtout, en choquant le moins de monde possible. Quel niveau, quel degré d’excellence faut-il donc attendre ou viser ?
En plus de ces paramètres, l’Opéra de Montréal s’est assigné la mission de distribuer des chanteurs d’ici dans les rôles phares. Le tandem France Bellemare-Luc Robert (2017) succède donc à Marie-Josée Lord-Marc Hervieux (2004) et Marianne Fiset-Antoine Bélanger (2011). Sur ce point précis, Marianne Fiset en 2011, d’un côté, et Marc Hervieux en 2004, de l’autre, sont ceux qui m’ont le plus touché. Par contre, le niveau général de la distribution de 2017 surpasse celui de 2011, certes médiocre.
France Bellemare a la voix du rôle. Elle fait attention à bien projeter dans une salle ingrate, et nivelle donc les nuances. Les aigus tendus se couvrent d’un petit voile — défaut que n’a pas Marianne Fiset, par exemple. Il semble que France Bellemare sera bientôt accueillie au Met, une institution fort empressée dans son cas, alors qu’elle a mis près de vingt ans à s’apercevoir que Marie-Nicole Lemieux existait! Peut-être des coachs vocaux new-yorkais pourront-ils remédier à ces petites scories vocales.
Luc Robert est un phénomène: cet ancien pompier de Rouyn-Noranda a un timbre d’une beauté solaire. Comme chez tous les talents bruts, le piège pour lui est de ne négliger aucun détail. Dans un opéra, la moindre phrase, la moindre ligne, même d’apparence anecdotique, compte. À ce titre son début d’acte IV était assez douteux. Mais, au même titre que le jeune espoir Jean-Philippe Fortier-Lazure, Luc Robert peut devenir, à force de rigueur et de travail acharné, notre grand ténor.
Le baryton Justin Welsh, qui n’a pas encore la constance (acte III) d’Étienne Dupuis, mais en possède la prestance, fut le plus brillant des comparses, ce qui n’éclipse ni le très solide Schaunard de Christopher Dunham ni le Colline aguerri d’Alexandre Sylvestre. La Musetta de Lucia Cesaroni est juste, avec une voix un peu centrée, ce qui convient à la frivolité (de surface) du rôle.
À noter, lors de la première, le moment un peu effarant où l’Opéra de Montréal a trahi l’amplification de ses représentations, lorsqu’un enfant s’est mis à chanter comme un Minotaure dans la scène des jouets avec Parpignol. L’intervention du choeur de femmes qui suivait nous a cassé les oreilles pendant une fraction de seconde. Ces artifices expliquent peut-être le surprenant regain de voix de certains chanteurs d’un opéra à l’autre ces dernières années…
Quant au spectacle, dont l’«indice de lacrymalité» avoisine le zéro (pour un opéra qui devrait faire pleurer chaudement), c’est le même qu’en 2011, avec son décor improbable — et historiquement faux — de loft aux Ier et IVe actes, qui permet surtout une transition rapide vers le café Momus du second. La direction d’acteurs d’Alain Gauthier met bien en évidence la camaraderie des personnages, alors que le chef James Meena tente, j’imagine (ou j’espère), de jouer les oppositions de tempos et de nuances, mais avec un outil orchestral pas assez rodé pour cela. Par ailleurs, notamment à la fin, tout n’est certes pas forte ou fortissimo dans la partition, mais les dynamiques les moins puissantes, doivent être soutenues (sostenuto) très intensément, surtout dans cette salle, pour ne pas apparaître comme des absences de sons.