Le Devoir

La comédienne Nicole LeBlanc est décédée

L’inoubliabl­e interprète de Rose-Anna souffrait d’un cancer des os

- MANON DUMAIS

La comédienne Nicole LeBlanc est décédée mardi soir, entourée des siens, des suites d’un cancer des os. Née à Maria, Gaspésie, en 1941, l’actrice a marqué l’imaginaire du public québécois par son jeu authentiqu­e et ses personnage­s de femmes fortes, parmi lesquels Fifine dans Rue des pignons de Louis Morisset et Mia Riddez (1966-1977), Rose-Anna dans Le temps d’une paix (1980-1986) et Bella dans Cormoran (1990-1993), deux téléromans de Pierre Gauvreau, ainsi que Pamela dans 4 et demi… de Sylvie Poirier et Pierre Lussier (1994-2001).

Lorsque Nicole LeBlanc quitte sa Gaspésie natale pour tenter sa chance à Montréal, elle est recalée aux auditions du Conservato­ire de théâtre en raison de son accent. Elle réussit tout de même à se faire accepter à l’École nationale de théâtre.

«À l’époque, on disait que vous aviez un petit défaut, mais qu’au bout de trois ans, on l’aurait corrigé. Je le souligne parce que le premier spectacle qu’on a fait, Les enfants de Chénier dans un autre grand spectacle d’adieu (1969), avec d’anciens étudiants de l’École nationale, c’était une revendicat­ion du contraire, c’est-à-dire de pouvoir parler québécois avec une respiratio­n québécoise», rappelle Jean-Claude Germain, avec qui elle a fondé le Théâtre du Même Nom en 1969 — pied de nez à une institutio­n bien connue.

«Nicole avait ce plaisir de jouer, poursuit M. Germain. Chaque fois qu’elle jouait, elle donnait l’impression qu’elle était le personnage, ce qui est rare. Elle a toujours gardé non pas son accent, mais sa respiratio­n gaspésienn­e. Ce qui est merveilleu­x, c’est qu’elle a réussi à rejoindre le grand public. »

Entière et libre

Grâce à Jean-Claude Germain, le père de ses enfants et son ex-compagnon de vie, Nicole LeBlanc a pu exploiter sur scène sa fantaisie, son excentrici­té, sa joie de vivre dans des rôles à la mesure de son talent, telle cette chanteuse au faîte de sa gloire et au crépuscule de sa vie dans Les hauts et les bas d’la vie d’une diva: Sarah Ménard par eux-mêmes (1974) au Théâtre d’Aujourd’hui.

Sa grande amie Pauline Martin, rencontrée lors de la reprise des Belles-soeurs de Michel Tremblay 25 ans après sa création, se souvient de Nicole LeBlanc comme d’une artiste à part entière. «Nicole dessinait énormément et magnifique­ment bien ; elle écrivait bien, elle avait une calligraph­ie extraordin­aire. Elle avait une collection de tableaux, de masques. C’était une dévoreuse de livres. Elle avait un rapport vrai avec la culture, mais elle n’étendait pas sa culture comme d’autres le font de la confiture. Elle était réellement cultivée. Elle avait aussi quelque chose d’extrêmemen­t audacieux et de très libre. Elle portait des chapeaux extravagan­ts qu’elle assumait totalement. Le mot liberté lui colle extrêmemen­t bien.»

Outre son talent, ce que Pauline Martin respectait plus que tout chez Nicole LeBlanc, c’était son besoin de jouer: « En voyant jouer Nicole, on comprenait qu’elle avait ce besoin, et ça fait une grande différence dans ce que le public reçoit. Jouer, pour Nicole, c’était un don de soi. Elle était très entière. Elle avait du caractère, mais elle n’aurait jamais pu toucher autant les gens si elle n’avait pas été hypersensi­ble et extrêmemen­t attentive aux autres. Elle savait ce qu’elle voulait et ce qu’elle acceptait de faire, elle le faisait avec tout son coeur, toute son âme. »

Un modèle

Aux dires de Jean-Claude Germain et de Pauline Martin, Nicole LeBlanc n’avait pas d’âge et n’avait rien perdu de sa folie avec les années. Pour Geneviève Brouillett­e, qui interpréta­it sa fille dans Apparences (2012) de Serge Boucher, Nicole LeBlanc était «beaucoup plus wild que les rôles qu’elle jouait à la télé».

«Je l’adorais! s’exclame Geneviève Brouillett­e. Elle était une grande actrice, une femme avec beaucoup d’humour et un esprit libre. Travailler avec elle, la regarder travailler, c’était pour moi une grande leçon d’acting. Elle avait tant de profondeur et de simplicité dans son jeu. Quand elle se trompait, elle riait tellement d’ellemême, c’était craquant. »

«Sur le plateau d’Apparences, où l’on travaillai­t avec Francis Leclerc dans la légèreté et l’humour, elle ne nous faisait jamais sentir qu’on était plus jeune qu’elle, se rappelle l’actrice. Elle était tellement bouleversa­nte, elle ne poussait rien, elle faisait confiance au texte. Il fallait que je me retienne pour ne pas trop l’aimer parce que mon personnage était moins attendri que moi je l’étais par Nicole. J’avais juste envie de la serrer dans mes bras et lui donner plein de becs. Je ressentais une grande tendresse pour elle. »

Fidèle à sa nature curieuse, Nicole LeBlanc n’hésitait pas à sortir des sentiers battus. C’est ainsi qu’on a pu la voir dans Série noire de François Létourneau (2014): «Nicole avait une palette extrêmemen­t large, explique Jean-Claude Germain. Pour elle, c’était un souffle nouveau, mais elle pouvait se sentir très à l’aise là-dedans, car, très souvent, c’était en filiation d’esprit avec ce qu’on avait fait.»

Avec l’accord de la famille et les amis de Nicole LeBlanc, l’agence Goodwin a mis en place une page Facebook afin que le public puisse témoigner de son affection pour celle qui a marqué plusieurs génération­s de spectateur­s. «Nicole ne voulait rien de flamboyant», confie Pauline Martin, qui a accompagné son amie jusqu’à la fin.

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 ?? ARTV ?? Nicole LeBlanc lors de son passage à l’émission Viens voir les comédiens, en 2006
ARTV Nicole LeBlanc lors de son passage à l’émission Viens voir les comédiens, en 2006
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RADIO-CANADA Le temps d’une paix, avec Nicole LeBlanc, Denys Paris et Monique Aubry, en 1984
 ?? THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE ?? À toi pour toujours, ta Marie-Lou, de Michel Tremblay, au Théâtre du Nouveau Monde en 1984
THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE À toi pour toujours, ta Marie-Lou, de Michel Tremblay, au Théâtre du Nouveau Monde en 1984

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