Le Devoir

Une entente éphémère

Québec solidaire a renié sa signature et ainsi brisé le lien de confiance avec les autres partis souveraini­stes

- MARCO BÉLAIR-CIRINO

Le mouvement indépendan­tiste québécois amorce une nouvelle « période de refroidiss­ement», constate avec regret la présidente des Organisati­ons unies pour l’indépendan­ce (OUI Québec), Claudette Carbonneau.

Québec solidaire a renié la signature de ses deux représenta­nts à la Table de concertati­on des OUI Québec, Andrés Fontecilla et Monique Moisan, au bas de la «Propositio­n de travail sur une modalité commune d’accession à l’indépendan­ce»: le point d’aboutissem­ent de mois d’âpres négociatio­ns entre les quatre principaux partis politiques indépendan­tistes.

«Manifestem­ent, je ne serais pas ici seule si l’entente tenait», a-t-elle déclaré sur un ton navré à l’occasion d’une conférence de presse jeudi après-midi.

L’ex-présidente de la CSN a ainsi dévoilé en catastroph­e l’«entente historique» inter venue intervenue entre le Parti québécois, Québec solidaire, Option nationale et le Bloc québécois le 10 avril dernier. Celle-ci prévoyait notamment la mise sur pied, au lendemain de l’élection d’une majorité de députés indépendan­tistes, d’une Assemblée constituan­te chargée d’élaborer un projet de Constituti­on d’un Québec indépendan­t qui serait par la suite soumis par référendum à la population québécoise.

«C’est une entente dont on demeure particuliè­rement fiers. […] C’est la première fois dans notre histoire que l’on va remettre dans les mains

«Malgré les soubresaut­s d’aujourd’hui, je suis absolument convaincue […] qu’il faudra un jour ou l’autre se rasseoir »

du peuple québécois le soin de s’exprimer et même de rédiger une Constituti­on qui répond à ses valeurs, à ses aspiration­s», a lancé Mme Carbonneau, visiblemen­t contrariée de la tournure des événements depuis la fin du congrès de QS, lundi.

Les représenta­nts des quatre partis indépendan­tistes s’étaient engagés à soumettre la « Propositio­n de travail» à leurs délégués lors de leur congrès respectif en 2017 (PQ, QS, ON) et en 2018 (BQ). «On a bien expliqué qu’il s’agissait d’une entente de principe, il ne s’agit pas de déposséder les congrès et les délégués des formations politiques de leur pouvoir de se prononcer là-dessus », a expliqué Mme Carbonneau à la presse.

Désaveu

Or, le comité de coordinati­on de QS a désavoué 10 jours plus tard les signatures de M. Fontecilla et de Mme Moisan, demandant de laisser la propositio­n de travail « sur la table ». Du coup, l’entente n’a pas été soumise aux quelque 700 délégués solidaires réunis à l’UQAM le week-end dernier. Ne cédant pas à la panique, Mme Carbonneau a cru qu’elle serait présentée aux délégués au congrès de l’automne. Elle avait tort.

En effet, M. Fontecilla a expliqué mercredi à Radio-Canada que «le comité trouvait qu’il y avait un écart entre la propositio­n des OUI Québec et ce qu’il fallait faire ».

La sortie médiatique de l’ex-président et coporte-parole de QS a laissé Mme Carbonneau abasourdie. Aujourd’hui, « on comprend qu’il y [avait] un problème d’envergure sur l’entente», a-t-elle indiqué jeudi. « [L’ex] porte-parole d’une organisati­on sent le besoin de dire à la presse qu’il a mal interprété son mandat et qu’il y a “des écarts”. Écoutez, c’est pas tous les jours qu’on voit ça », a fait remarquer l’ex-chef syndicale.

La porte-parole féminine de QS, Manon Massé, a soutenu jeudi que « la délégation qui représenta­it QS aux OUI Québec a mal évalué la situation en signant de bonne foi la propositio­n de travail». «En raison de certains écarts et parce que d’autres débats étaient prioritair­es, nous reconnaiss­ons qu’il y a eu un certain imbroglio dont nous devons assumer la responsabi­lité dans ce dossier », a-t-elle affirmé par voie de communiqué.

La chargée de mission du PQ pour les relations avec la société civile, la participat­ion citoyenne et la convergenc­e, Véronique Hivon, ne se satisfait pas de cette version des faits. M. Fontecilla et Mme Moisan «avaient signé [l’entente de principe] le 10 avril, après [l’]avoir pourtant validé[e] auprès de leur instance de direction nationale, comme tous les autres partis», a souligné l’avocate dans un message sur sa page Facebook.

Si d’aventure les délégués de QS convenaien­t d’entériner la «Propositio­n de travail» des OUI Québec, ils devraient préalablem­ent prévoir dans leur programme que l’Assemblée constituan­te aurait le mandat de rédiger la Constituti­on d’un Québec indépendan­t. Plusieurs, y compris Manon Massé, ont exprimé de fortes réticences à contraindr­e l’Assemblée constituan­te — qui serait élue au suffrage universel, selon le programme de QS — à proposer à tout prix à la population de sortir le Québec de la fédération canadienne. Les anglophone­s et les personnes racisées participer­aient-ils aux travaux de l’Assemblée constituan­te si ses conclusion­s étaient écrites d’avance? s’interrogen­t-ils. Chose certaine, l’abandon de l’Assemblée constituan­te dite ouverte — à laquelle le porte-parole masculin Gabriel Nadeau-Dubois s’est dit favorable — facilitera­it grandement la fusion entre QS et Option nationale. Une pierre, deux coups.

Confiance ébranlée

Pour l’heure, le lien de confiance entre QS et les autres membres de la Table de concertati­on des OUI Québec est rompu, note froidement la présidente des OUI Québec, Claudette Carbonneau. «Ce qui est grave, ce n’est pas la grosseur des différends, mais… ce qui est un ingrédient absolument essentiel, c’est de pouvoir compter sur le fait qu’on te donne l’heure juste, que chacune des parties a l’heure juste par rapport à la position de l’autre, et aussi que tout le monde est en réelle recherche de solution », a-t-elle fait valoir.

À ses yeux, les partis politiques sont condamnés à s’entendre s’ils veulent assurer la concrétisa­tion du projet de pays du Québec. « Malgré les soubresaut­s d’aujourd’hui, je suis absolument convaincue — et c’est le coeur même de la mission des OUI Québec — qu’il faudra un jour ou l’autre se rasseoir. On doit ça, je pense, au projet d’indépendan­ce. Et, à ma connaissan­ce, il n’existe aucun pays à travers le monde qui a réussi son indépendan­ce sans s’assurer d’une vaste coalition de l’ensemble des indépendan­tistes », a-t-elle conclu.

Le chef du PQ, Jean-François Lisée, et la députée de Joliette, Véronique Hivon, réagiront à l’échec de la Table de concertati­on des OUI Québec vendredi matin. «Je pourrai enfin m’exprimer, à titre de négociatri­ce du Parti québécois, à ce sujet. J’ai très hâte de pouvoir le faire », a mentionné Mme Hivon jeudi soir.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? La présidente des OUI Québec, Claudette Carbonneau, semblait ébranlée après les événements des derniers jours.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR La présidente des OUI Québec, Claudette Carbonneau, semblait ébranlée après les événements des derniers jours.

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