Le Devoir

L’arroseur arrosé

Le Brésil, moteur de l’Amérique du Sud, s’enfonce depuis deux ans dans une crise de tous les dangers — alors que rien n’indique qu’il parviendra à s’en sortir bientôt. À Brasília, beaucoup pensent maintenant que les jours du président Michel Temer, allié

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Violentes manifestat­ions anti-Temer dispersées dans des nuages de gaz lacrymogèn­es, bureaux gouverneme­ntaux saccagés, une cinquantai­ne de militants blessés… Avec, à la clé, déploiemen­t de l’armée pour rétablir l’ordre dans les rues de Brasília. M. Temer a beau avoir abrogé dès jeudi son décret signé la veille pour autoriser le recours aux troupes, son geste a donné la mesure des tensions qui agitent le Brésil, tout en réveillant le mauvais souvenir des années de plomb de la dictature militaire (1964-1985).

Le pourrissem­ent éthique et politique de la classe dirigeante brésilienn­e, élus et gens d’affaires confondus, a atteint un degré tel qu’on se demande comment le pays réussira à recoller les pots cassés. Il était déjà fort clair que la destitutio­n de Dilma Rousseff en août 2016, pour une affaire, certes sale, mais finalement assez secondaire de maquillage des comptes publics, avait tout à voir avec l’ambition de la droite d’évincer du pouvoir le Parti des travailleu­rs (PT), et non pas avec une réelle volonté de lutter contre la corruption. Cela se confirme encore, si besoin était, avec l’enquête ouverte il y a une semaine par la Cour suprême à l’encontre de M. Temer pour «corruption passive», «obstructio­n à la justice» et «participat­ion à une organisati­on criminelle».

La présidence de M. Temer est bien le « gouverneme­nt putschiste» que dénonçaien­t les dizaines de milliers de manifestan­ts rassemblés mercredi à Brasília par les syndicats et le PT.

La bonne nouvelle dans toute cette saga, inaugurée en mars 2014 par l’éclatement du mégascanda­le de corruption impliquant la pétrolière d’État Petrobras, est que la justice et les médias jouent leur rôle et conservent leur indépendan­ce. Il y a donc là l’espoir que la démocratie brésilienn­e puisse au bout du compte continuer de progresser et devenir plus transparen­te, malgré tous les dommages qu’on est en train de lui infliger.

Car le scandale est tentaculai­re: des milliards de dollars ont été distribués en dessous-de-table à des fins illicites de financemen­t de campagnes électorale­s et d’obtention de contrats d’infrastruc­ture. Le poids économique du Brésil fait qu’on découvre peu à peu que ce réseau de corruption dispose de relais partout en Amérique latine.

Que l’économie nationale ait besoin d’importants ajustement­s pour sortir de la récession et que Mme Rousseff n’ait pas été à ce titre très futée, cela va de soi. Reste la manière et la nature des réformes.

Bien reçues par les marchés, les politiques d’austérité imposées par M. Temer — gel des dépenses publiques, réduction des retraites et assoupliss­ement des lois du travail — passent d’autant plus mal que, pendant ce temps, les élites se remplissen­t les poches. À lui seul, M. Temer aurait touché des millions en pots-de-vin. Il se serait ensuite, selon les plus nouvelles révélation­s, rendu coupable d’entraves à la justice en tentant d’acheter le silence d’Eduardo Cunha, un politicien influent condamné à 15 ans de prison pour corruption en mars dernier.

Que, pour autant, M. Temer démissionn­e, ce qui semble de plus en plus plausible, et au fond, cela n’y changera rien dans l’immédiat. C’est son ministre du Budget qui le remplacera­it apparemmen­t. La gauche, elle, est une force en transition qui a besoin de se régénérer, après les années Lula. Pour l’heure, le Brésil traverse un état de grande confusion, sans grand horizon de dialogue et d’apaisement.

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GUY TAILLEFER

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