Le Devoir

Le soutien à domicile diminue

Près de 8500 personnes de moins ont pu en bénéficier en 2015-2016 comparativ­ement à l’année précédente

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Près de 8500 personnes de moins ont reçu du soutien à domicile public en 2015-2016 en comparaiso­n de 2014-2015. Parmi elles, 3688 personnes ont plus de 65 ans.

Malgré les investisse­ments de 520 millions de dollars en soutien à domicile que Québec affirme avoir faits depuis l’arrivée du gouverneme­nt libéral au pouvoir en 2014, de moins en moins de personnes semblent donc recevoir des services. C’est à partir des données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) contenues dans les études des crédits que Le Devoir a pu arriver à cette conclusion.

Ainsi, selon les documents consultés, 341 472 personnes ont obtenu du soutien à domicile en 20142015, contre 333 023 l’année suivante, c’est-à-dire une diminution de 8449.

Le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, attribue cela à des «moyens de pression du personnel syndiqué au cours des derniers mois de l’exercice financier » 2015-2016. L’attachée de presse de M. Barrette, Julie White, a écrit au Devoir que «les données pertinente­s n’ont pas été saisies de manière complète et en temps utile, compromett­ant ainsi [leur] fiabilité ».

Une affirmatio­n qui fait bondir Guy Laurion, vice-président à la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, représenta­nt des travailleu­rs qui, justement, saisissent ces données. «Je tombe en bas de ma chaise. C’est odieux d’affirmer une chose pareille, a-t-il affirmé en entrevue. Il n’y a jamais eu de mot

Le ministère prétend que ses propres données sont peu fiables en raison de moyens de pression du personnel syndiqué

d’ordre à cet effet; au contraire, on a besoin de ces données!»

Tous ses indicateur­s pointent aussi vers une diminution des services à domicile. «On a eu plusieurs exemples dans les médias de personnes qui ont vu leurs services diminuer. J’en ai même eu un exemple dans ma propre famille », soutient M. Laurion.

Diminution des budgets?

«Selon les chiffres mêmes du MSSS, le budget entre ces deux années en dollars constants a diminué de 2%, et le nombre de bénéficiai­res, de 2,5%», constate pour sa part le chercheur en administra­tion de la santé à l’Université de Montréal Damien Contandrio­poulos. Le tout dans un contexte d’augmentati­on démographi­que des plus de 65 ans. «On ne sait pas si les bénéficiai­res ont conservé leur niveau de services, mais je suis à peu près certain que non. C’est un bilan assez médiocre qui explique probableme­nt en partie l’ampleur de l’opération de communicat­ion d’hier et aujourd’hui », avance-t-il.

S’achevait vendredi un forum de deux jours sur les meilleures pratiques en soutien à domicile, où on a vu les p.-d.g. des établissem­ents prendre des engagement­s fermes en vue d’améliorer les services et le ministre Barrette réitérer sa volonté d’investir. «Nous allons dépasser notre engagement électoral de 750 millions additionne­ls sur cinq ans», a-t-il promis devant l’assemblée, confirmant aussi que la totalité de l’augmentati­on des transferts fédéraux en santé pour 2017-2018, soit 69 millions, irait au soutien à domicile.

Il est particuliè­rement difficile d’avoir un portrait juste des investisse­ments réels en soins à domicile et des services qui en découlent: cette semaine, cette question a fait l’objet d’une guerre de chiffres entre le gouverneme­nt et l’opposition.

Le Parti québécois et le gouverneme­nt ont interprété de manière diamétrale­ment opposée des données pourtant communes provenant du MSSS: pour l’opposition, il y a compressio­ns; pour Gaétan Barrette, il y a des investisse­ments.

À partir des données du MSSS excluant les dépenses administra­tives, celles-là mêmes utilisées par le ministre, le chercheur Damien Contandrio­poulos a tenté d’y voir plus clair. Il a reporté les montants en dollars constants par personne de 65 ans et plus, ce qui révèle une baisse des investisse­ments entre 2014-2015 et 2015-2016. Le Devoir a pu consulter ces calculs. « On voit la diminution, explique-t-il. Aussi, il y a beaucoup trop d’anecdotes de personnes qui ont vu leurs services amputés. Une chose est certaine, l’interpréta­tion des chiffres provenant de sources officielle­s par les différents partis politiques laisse un peu perplexe.» En tenant compte des 69 millions additionne­ls prévus au budget pour 20172018, on revient à un niveau équivalent à 20142015 par personne âgée en dollars constants.

Selon le MSSS, toutefois, le nombre « d’interventi­ons », lui, a connu une hausse de 10 % entre 2013-2014 et 2015-2016, avec une légère baisse en 2015-2016. Le problème dans la saisie des données pourrait avoir affecté le résultat, avertit encore le MSSS.

L’ancien ministre de la Santé sous le PQ Réjean Hébert, aujourd’hui doyen de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, est lui aussi convaincu que de moins en moins de personnes reçoivent des soins à domicile au Québec. Il a eu l’occasion de participer à deux événements dans les derniers mois où des données du MSSS étaient présentées et le confirmaie­nt. «Le nombre d’usagers desservis a diminué. De plus, on répond à une moins grande proportion de leurs besoins », a-t-il dit en entrevue. Il craint qu’on se retrouve avec un «problème insurmonta­ble» dans un avenir rapproché, allant jusqu’à qualifier le forum des derniers jours de «poudre aux yeux».

Les données du MSSS montrent que certains postes de dépenses pour le soutien à domicile sont en croissance et d’autres, en décroissan­ce. Les soins infirmiers, les services psychosoci­aux, la nutrition, par exemple, ont vu leurs budgets croître, alors que l’aide à domicile, le soutien aux familles de personnes handicapée­s et l’interventi­on communauta­ire ont subi des baisses.

Les engagement­s des p.-d.g.

Lors du forum, les p.-d.g. des établissem­ents de santé ont dû s’engager, entre autres, à renforcer les équipes interdisci­plinaires, à s’adapter et à répondre aux besoins des patients sur leur territoire et assurer une réponse rapide aux patients « instables » pour éviter autant que possible les visites à l’urgence. Tels de bons élèves, on les a vus, pendant deux jours, prendre des notes et poser des questions aux experts, aux médecins et aux autres praticiens qui ont mis en place des moyens efficaces de rendre des services à domicile. Leur reste le grand défi de concrétise­r le tout dans leurs régions respective­s.

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