Le Devoir

Fin de course sur la Croisette. Les choix d’Odile Tremblay.

- ODILE TREMBLAY à Cannes

On a vu tous les films de la course, et jamais une compétitio­n, sur propension marquée pour les films de genre, n’aura suscité autant d’opinions contradict­oires. Aucun consensus, sinon une posture générale de perplexité.

Au dîner de gala de la presse au chic Carlton, Pierre Lescure, le président du festival, en rigolait devant nous: «Un même film: sept avis divers.» Les médias, 4000 membres accrédités, avec hiérarchie de cartes colorées au cou — dont la plus haute (la blanche) déclenche les sourires des placiers, et la plus basse (la jaune) les queues interminab­les sous risque d’insolation —, sont un élément clé du Festival de Cannes. Leurs coups de gueule ont modelé le paysage, mais la presse people envahit tout l’espace médiatique en nappe d’huile. Pas mal plus dangereux que l’arrivée de Netflix…

Fatih Akin, le très bon cinéaste turco-allemand de HeadOn et de De l’autre côté, est en perte de souffle depuis dix ans sans retrouver la forme ici.

Mis à part la performanc­e de Diane Kruger, qui pourrait lui valoir un prix d’interpréta­tion, son In the Fade gâche un brûlant sujet d’actualité.

Démarrant sur les chapeaux de roues, ce film de douleur et de vengeance s’enlise vite. La trame est celle d’une femme allemande (Kruger), dont le mari d’origine turque et le fils meurent sous l’attentat de néonazis. Un long épisode de procès s’étire avec des invraisemb­lances. Malgré une dernière partie en Grèce mieux menée, le dénouement laisse perplexe.

Reste Kruger, à l’aise dans sa langue maternelle, jouant sa tragédie avec brio à travers la gamme des émotions. «On entend les chiffres: 22 morts, et jamais les histoires des personnes qui restent. Comment est-ce possible de continuer à vivre après une telle horreur? a demandé l’actrice en conférence de presse. Je suis Katja. J’ai sauté dans le vide, les yeux fermés, et j’ai dit oui à tout.»

Un sanglant Lynne Ramsay

Sur les thématique­s de l’heure: la rencontre de deux êtres broyés dans un monde pourri, la cinéaste écossaise Lynne Ramsay cogne avec son thriller sanglant et maîtrisé adapté d’une novella de Jonathan Ames. Elle avait été de la course avec We Need to Talk About Kevin, auparavant à Un certain regard pour l’exceptionn­el Ratcatcher. You Were Never Really Here donne la vedette à Joaquin Phoenix, habitant des abîmes sans compromis. Comme la cinéaste qui explore une nouvelle fois l’enfance traumatisé­e, de façon très virile, au fait.

Le corps couturé de cicatrices et l’esprit brisé par la violence de son père et ses années de guerre au MoyenOrien­t, Joe est un tueur à gages, tourmenté par ses démons, qui prend soin de sa vieille mère et tue comme il respire. En mission d’extirper une toute jeune fille (Ekaterina Samsonov, très juste) d’un réseau sexuel pour politicien­s corrompus, les choses se gâtent. Joaquin Phoenix est sensationn­el en demi-mort hanté. La mise en scène s’emboîte entre fantasmes, brutalité et rêves éveillés sans égarer ses spasmes, sur une trame musicale à l’unisson. On n’est pas dans l’oeuvre supérieure, qui vous prend aux tripes, mais dans un cauchemar perturbant, ce qui est déjà beaucoup. You Were Never Really Here fut hué et applaudi, comme bien des films ici.

Palmarès fantôme

Je risque un palmarès fantôme plus personnel qu’autre chose...

Quelques films surnagent: le torride Faute d’amour du Russe Andrey Zvyagintse­v. Le pop et rigolo Le redoutable de Michel Hazanavici­us en satire de Godard, le percutant The Square du Suédois Ruben Östlund, le lumineux Vers la lumière de la Japonaise Naomi Kawase. Les Français aiment la vivante chronique sur les années sida 120 battements par minute de Robin Campillo (qui ennuie les Américains). L’amant double de François Ozon s’est révélé un thriller psychologi­que de haute voltige. Palme d’or Faute d’amour

Grand Prix du jury Vers la lumière Prix du jury 120 battements par minute Prix d’interpréta­tion féminine Diane Kruger dans In the Fade Prix d’interpréta­tion masculine Joaquin Phoenix dans You Were Never Really Here Prix de scénario L’amant double Cela ou son contraire, bien entendu…

Lire aussi › Notre couverture de la conclusion du 70e Festival de Cannes sur le site Web du Devoir. La Palme d’or sera connue dimanche. Odile Tremblay sera sur place.

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ALASTAIR GRANT ASSOCIATED PRESS Le cinéaste turco-allemand Fatih Akin et l’actrice Diane Kruger
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