Le Devoir

Le Politburo de Québec solidaire.

La chronique de Michel David.

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Àtitre de président de Québec solidaire, Andrés Fontecilla connaissai­t parfaiteme­nt ses structures et son fonctionne­ment. Il pouvait mesurer mieux que quiconque l’étroitesse de sa marge de manoeuvre. Il n’aurait jamais apposé sa signature au bas d’une entente avec les autres partis souveraini­stes sans le feu vert du Comité de coordinati­on national de QS, que Jean-François Lisée a comparé à l’obscur Politburo de l’ex-URSS, qui chapeautai­t le gouverneme­nt soviétique officiel.

Une période de deux semaines avait été prévue entre la conclusion de l’entente et la signature officielle pour permettre aux représenta­nts de chacun des partis d’en faire approuver les dispositio­ns par les instances autorisées. Au reste, M. Fontecilla n’était pas le seul représenta­nt de QS à la table de négociatio­ns. Sa collègue Monique Moisan, dont on a pu constater le souci de la règle en la voyant diriger les débats au congrès de la semaine dernière, l’accompagna­it tout au long de l’exercice et elle aussi a signé.

En bon soldat, M. Fontecilla a accepté de prendre tout le blâme. «Ça arrive souvent qu’un négociateu­r juge qu’il y a entente, mais pas les instances qui le mandatent. Ce sont les dangers de la vie politique», a-t-il déclaré. En réalité, il n’y avait pas de problème avec la «feuille de route». Elle avait simplement le tort de démontrer qu’on pouvait faire affaire avec le PQ, ce à quoi plusieurs s’opposaient férocement au «Politburo». On a donc préféré la cacher, et il faut maintenant lui trouver des défauts pour justifier cette cachotteri­e. On attend toujours qu’on nous explique lesquels.

M. Lisée a dit ignorer l’identité de ces éminences grises dont les porte-parole officiels du parti, aujourd’hui Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, ne seraient finalement que les exécutants. Le Devoir a publié la semaine dernière le texte d’un des membres plus connus du Comité de coordinati­on, André Frappier, quatre fois candidat dans Ahuntsic, qui plaidait vigoureuse­ment contre la conclusion d’un pacte électoral avec le PQ et qui est intervenu en ce sens sur le plancher du congrès.

On parle aussi de Ludvic Moquin-Beaudry, professeur de philosophi­e au cégep de Saint-Jérôme, qui était responsabl­e des communicat­ions à la CLASSE, à l’époque où M. Nadeau-Dubois en était le porte-parole. Dans une entrevue donnée à ICI Radio-Canada la semaine dernière, il s’inquiétait déjà de l’effet négatif qu’un rapprochem­ent avec le PQ aurait sur les électeurs anglophone­s et allophones que courtise ouvertemen­t QS.

Un autre «suspect» est l’ancien président du Conseil central du Montréal métropolit­ain (CSN), Gaétan Châteauneu­f, qui dirige le secrétaria­t de QS et sera candidat dans Bourget à la prochaine élection. La loi électorale exige que le nom du «chef» d’un parti politique soit enregistré. Dans le cas de QS, c’est le sien.

Le tort de la «feuille de route» est peut-être de mettre en lumière une contradict­ion flagrante dans son programme. Il déclare « essentiell­e l’accession du Québec au statut de pays» et constate que «le fédéralism­e canadien est irréformab­le sur le fond». Pourtant, contrairem­ent à ce que prévoit la «feuille de route», il n’est dit nulle part que l’assemblée constituan­te proposée devra nécessaire­ment accoucher de la constituti­on d’un Québec souverain.

Cela sous-entend qu’elle pourrait plutôt proposer la constituti­on d’un État toujours fédéré, ce qui serait illégal selon les experts qui ont été consultés pour éclairer les discussion­s. Il va de soi qu’une province, aussi distincte qu’elle soit, ne peut pas réécrire la Constituti­on du pays à sa convenance.

QS se retrouve face à un dilemme. Reconnaîtr­e que la Constituti­on sera nécessaire­ment celle d’un État souverain donnerait au tiers de ses électeurs qui sont fédéralist­es la désagréabl­e impression qu’on cherche à les enfermer dans une «cage à homard» semblable à celle de Jacques Parizeau. Inversemen­t, laisser la porte ouverte à une réforme du fédéralism­e risque de compromett­re les chances d’une fusion avec Option nationale, qui exige un « engagement clair envers l’indépendan­ce».

Jean-François Lisée demande formelleme­nt à QS de dire toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé, mais comment admettre qu’on a délibéréme­nt sacrifié une entente qui, contre toute attente, avait réussi à rassembler les partis souveraini­stes pour s’assurer que le pacte électoral avec le PQ soit rejeté ?

La présidente des OUI Québec, Claudette Carbonneau, suggère une «période de refroidiss­ement » avant de reprendre les discussion­s. Dans la meilleure des hypothèses, il faudra attendre après la prochaine élection, si tant est qu’une réconcilia­tion soit possible.

Le PQ sort meurtri de ce triste épisode, mais QS pourrait aussi écoper. Si le «Politburo» a pu faire en sorte de cacher la vérité aux militants solidaires et de flouer les autres partis, pourquoi les électeurs devraient-ils lui faire confiance ?

Jean-François Lisée demande formelleme­nt à QS de dire toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé

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