Le Devoir

Soif de rapprochem­ent

Le seul café autochtone de Montréal entame sa troisième saison avec la volonté de créer des ponts entre les cultures

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Rien ne laisse deviner que, derrière toutes les grilles et les pancartes orange de travaux qui encerclent le square Cabot, dans l’ouest du centrevill­e de Montréal, se cachent de jolies tables et chaises de couleurs vives, dispersées devant le kiosque qui héberge La Maison Ronde, le seul café autochtone de la métropole.

À l’intérieur du petit local, quatre femmes s’activent. Sarah cuisine la banique, le pain traditionn­el autochtone, Shirley fait payer un client et Vivianna prépare un café. Pendant ce temps, Mélodie Grenier, coordonnat­rice du café, met à jour le menu avant l’arrivée des clients qui passeront sur l’heure du midi.

Ouverte de mai à septembre, La Maison Ronde en est aux premiers jours de sa troisième saison. Le projet, dont l’avenir est incertain, est issu d’une collaborat­ion entre l’arrondisse­ment de Ville-Marie et le groupe communauta­ire L’Itinéraire.

À l’exception de Mélodie, qui est embauchée par l’organisme pour superviser l’établissem­ent, tous les employés du café sont des personnes d’origine autochtone éloignées du marché du travail.

Comme Sarah Alaku, 44 ans, une Inuite arrivée à Montréal il y a une dizaine d’années de son Kangiqsuju­aq natal, au Nunavik. Si tout se passe comme prévu, elle retournera y vivre d’ici l’an prochain avec son conjoint et ses plus jeunes enfants. La naissance de son premier petitenfan­t, prévue en juillet, la motive à retourner vivre dans sa communauté. Aussi, la chasse et la nature lui manquent.

«J’apprends beaucoup ici, j’ai encore un peu de difficulté à faire les cafés, c’est très nouveau pour moi», raconte la future grand-mère, qui a été embauchée à La Maison Ronde peu avant la réouvertur­e de l’établissem­ent.

Sarah n’avait pas travaillé depuis deux ans, soit depuis la naissance de sa plus jeune fille, Maureen. Le jour de notre visite, elle a préparé sa première banique. «Ça faisait très longtemps que j’en avais fait, ça me rend tellement nerveuse!» lance-t-elle timidement avant d’éclater d’un grand rire contagieux.

Confiance

Shirley de Wind doutait elle aussi de ses capacités à ses débuts au café, il y a trois ans. Aujourd’hui, la doyenne de l’équipe affirme que ce travail l’a aidée à reprendre confiance en elle. « Je suis contente d’être de retour cet été. J’adore la job, on ne s’ennuie jamais », dit-elle.

Avant de décrocher cet emploi, Shirley a vécu deux ans dans la rue. «J’avais tout laissé, rien ne marchait pour moi. Je me disais que rien de bien ne m’arriverait », confie-t-elle.

C’est au Centre d’amitié autochtone, la principale ressource d’aide pour les personnes autochtone­s à Montréal, qu’on lui a proposé de postuler. Depuis, la femme de 40 ans originaire de Fort Alexander au Manitoba vit en appartemen­t et est devenue un modèle de réussite pour les plus démunis de sa communauté.

«Ils se sont dit: “Si elle peut le faire, je peux aussi”. J’en vois qui se trouvent des logements, je suis très fière d’eux», déclaret-elle tout sourire.

Faire tomber la barrière

Shirley l’affirme sans détour: «C’est difficile de se trouver du travail, surtout lorsqu’on est autochtone.» Elle apprécie la chance que l’arrondisse­ment lui a donnée en démarrant le projet avec L’Itinéraire, mais elle déplore certains préjugés tenaces envers sa communauté.

«On peut y arriver. Regardez, c’est notre troisième année et je suis encore ici ! Je suis capable de garder un emploi, la plupart d’entre nous peuvent le faire si on nous encourage», dit la mère de quatre enfants. Un avis partagé par Mélodie Grenier, de L’Itinéraire. Selon elle, La Maison Ronde contribue à faire tomber la barrière qui sépare les communauté­s autochtone­s des autres Québécois.

Elle souligne qu’avec le café, L’Itinéraire est devenu le seul organisme géré par des non-autochtone­s à travailler avec ces communauté­s à Montréal.

«Ça donne un sens au travail qu’on fait. Un itinérant autochtone est un itinérant, mais il souffre d’une double stigmatisa­tion. C’est une marginalis­ation qui persiste au sein même de la communauté itinérante», souligne-t-elle.

Pour Vivianna, 18 ans, le travail au café a été l’occasion de se rapprocher de ses racines micmaques. La jeune femme, qui a toujours vécu à Montréal, connaissai­t peu cette culture jusqu’à tout récemment.

«Depuis que je travaille ici, je réalise que c’est mon identité. Je veux en apprendre plus sur ma culture et m’impliquer dans ma communauté, parce que ça fait partie de moi», raconte l’étudiante qui prévoit terminer ses études secondaire­s l’automne prochain.

Menu autochtone

À l’ardoise du café: des plats autochtone­s revisités mettant en valeur la banique comme le Indian taco et différente­s variétés de sandwichs. En guise de dessert ou de collation, la banique sucrée, avec des fruits séchés et de la cannelle, rappelle le goût d’un scone. Le menu est d’inspiratio­n autochtone jusque dans le café, qui provient de la maison de torréfacti­on Mocassin Jo, à Kanesatake.

Le projet en est à sa troisième saison, la dernière selon l’entente conclue entre l’arrondisse­ment de Ville-Marie et L’Itinéraire. Toute l’équipe de La Maison Ronde espère qu’il soit renouvelé. «On s’attache à cet endroit, j’ai du plaisir à travailler ici, affirme Shirley. Des liens se sont créés avec les clients. »

L’arrondisse­ment a indiqué au Devoir qu’une évaluation sera menée avec L’Itinéraire à la fin de la saison « afin d’analyser les retombées du projet ». Mélodie Grenier souhaitera­it que le projet prenne de l’ampleur et même que, pourquoi pas, d’autres cafés comme celui-ci ouvrent un peu partout à Montréal.

«Certains de mes amis voudraient travailler, mais il n’y a pas de job pour eux», affirme Shirley, soulignant que de nombreux autochtone­s montréalai­s en difficulté bénéficier­aient d’une occasion comme celle que lui a donnée La Maison Ronde.

À l’ardoise du café: des plats autochtone­s revisités mettant en valeur la banique comme le Indian taco et différente­s variétés de sandwichs

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Shirley de Wind et Sarah Alaku doutaient de leurs capacités à travailler lorsqu’elles ont été embauchées par Mélodie Grenier (à gauche), coordonnat­rice du café La Maison Ronde. Leur emploi leur permet de reprendre confiance en elles et de sortir de...

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