Le Devoir

Québec s’inquiète pour la production télé en français

Le ministre de la Culture et des Communicat­ions demande un retour à l’ancien cadre réglementa­ire

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le ministre de la Culture et des Communicat­ions du Québec manifeste ouvertemen­t sa «très grande préoccupat­ion » au sujet de nouvelles conditions de licence qui pourraient diminuer le nombre des émissions originales de langue française offert par certaines chaînes. Il demande au fédéral d’intervenir pour revenir à l’ancien cadre réglementa­ire.

La crainte se retrouve dans une lettre adressée par le ministre Luc Fortin à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. La missive dont Le Devoir a obtenu copie est datée du 26 mai.

Pierre Nantel, porte-parole du Nouveau Parti démocratiq­ue en matière de culture, fait part des mêmes préoccupat­ions dans une lettre envoyée elle aussi à Mme Joly.

Le Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) a modifié le 15 mai les conditions de licence pour certaines chaînes spécialisé­es. Les nouvelles règles suppriment les exigences en matière de programmat­ion canadienne de langue française.

La lettre du ministre Fortin reprend le cas médiatisé de Série + qui appartient à Corus. Auparavant, la chaîne devait consacrer au moins 1,5 million par année au financemen­t de séries originales en français. L’exigence a sauté pour la licence quinquenna­le.

La lettre de M. Fortin ne précise pas qu’il s’agit d’une demande de la compagnie. Série + a abandonné trois projets de série sitôt le changement réglementa­ire connu. Il n’entrera en vigueur qu’en septembre. La chaîne se retrouvera en 2017-2018 avec une grille sans série québécoise

« Contrairem­ent à ce qu’indique le CRTC, je crains que la seule présence d’exigences en matière de dépenses en émissions canadienne­s ne soit suffisante pour assurer la production et la diffusion d’un niveau élevé d’émissions originales en langue française», écrit le ministre à sa collègue fédérale.

Le ministre québécois a l’intention d’en appeler au gouverneur en conseil du CRTC et d’exiger un réexamen, voire l’annulation des récentes décisions, qu’il juge non conformes à la politique canadienne de radiodiffu­sion. «Elles ne tiennent pas compte de la spécificit­é du marché francophon­e », conclut le ministre Fortin.

De la canadianis­ation

Le cabinet de Mme Joly répond de manière laconique au Devoir que «la ministre est très sensible aux inquiétude­s du secteur» et que l’impact des décisions fait l’objet d’un examen.

Le CRTC explique que « plusieurs interpréta­tions de la décision rendue lundi [le 15 mai] sont erronées ». La porte-parole Céline Legault écrit que certaines exigences de licence sont remplacées «par d’autres encore plus restrictiv­es qui se traduiraie­nt potentiell­ement en plus d’investisse­ments en contenu original ».

Elle reprend le cas de Série +. À compter de septembre, la chaîne devra passer de 30 à 35% de contenu canadien et il lui faudra augmenter de 17 à 26% la part de ses revenus consacrée à l’acquisitio­n ou à la production d’émissions canadienne­s. Ces modificati­ons forceront le réseau à consacrer environ 7,8 millions à cette faveur nationale.

«Considéran­t ces nouvelles exigences de diffusion et de dépenses, le Conseil n’a pas renouvelé la condition de dépenses de 1,5 million par année en émissions originales, écrit Mme Legault au Devoir. Le Conseil est d’avis que les nouvelles mesures sont plus qu’adéquates pour assurer que Séries + continue à offrir un contenu canadien de qualité à ses téléspecta­teurs. »

Cependant, ces nouvelles règles ne parlent pas de la langue de ces production­s. Plusieurs observateu­rs, le ministre québécois et le député du NPD craignent que les empires médiatique­s comme Bell ou Corus ne déversent dorénavant davantage de production­s doublées sur leurs chaînes en français.

Dans un texte publié mercredi dans Le Journal de Montréal, le chroniqueu­r Michel Girard liait le changement réglementa­ire à la concentrat­ion accrue des réseaux québécois au sein d’entreprise­s contrôlées de Toronto. La québécoise Astral a été vendue à la canadienne BCE en 2013, qui a ensuite vendu Série + et Historia à l’ontarienne Corus.

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