Québec s’inquiète pour la production télé en français
Le ministre de la Culture et des Communications demande un retour à l’ancien cadre réglementaire
Le ministre de la Culture et des Communications du Québec manifeste ouvertement sa «très grande préoccupation » au sujet de nouvelles conditions de licence qui pourraient diminuer le nombre des émissions originales de langue française offert par certaines chaînes. Il demande au fédéral d’intervenir pour revenir à l’ancien cadre réglementaire.
La crainte se retrouve dans une lettre adressée par le ministre Luc Fortin à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. La missive dont Le Devoir a obtenu copie est datée du 26 mai.
Pierre Nantel, porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de culture, fait part des mêmes préoccupations dans une lettre envoyée elle aussi à Mme Joly.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a modifié le 15 mai les conditions de licence pour certaines chaînes spécialisées. Les nouvelles règles suppriment les exigences en matière de programmation canadienne de langue française.
La lettre du ministre Fortin reprend le cas médiatisé de Série + qui appartient à Corus. Auparavant, la chaîne devait consacrer au moins 1,5 million par année au financement de séries originales en français. L’exigence a sauté pour la licence quinquennale.
La lettre de M. Fortin ne précise pas qu’il s’agit d’une demande de la compagnie. Série + a abandonné trois projets de série sitôt le changement réglementaire connu. Il n’entrera en vigueur qu’en septembre. La chaîne se retrouvera en 2017-2018 avec une grille sans série québécoise
« Contrairement à ce qu’indique le CRTC, je crains que la seule présence d’exigences en matière de dépenses en émissions canadiennes ne soit suffisante pour assurer la production et la diffusion d’un niveau élevé d’émissions originales en langue française», écrit le ministre à sa collègue fédérale.
Le ministre québécois a l’intention d’en appeler au gouverneur en conseil du CRTC et d’exiger un réexamen, voire l’annulation des récentes décisions, qu’il juge non conformes à la politique canadienne de radiodiffusion. «Elles ne tiennent pas compte de la spécificité du marché francophone », conclut le ministre Fortin.
De la canadianisation
Le cabinet de Mme Joly répond de manière laconique au Devoir que «la ministre est très sensible aux inquiétudes du secteur» et que l’impact des décisions fait l’objet d’un examen.
Le CRTC explique que « plusieurs interprétations de la décision rendue lundi [le 15 mai] sont erronées ». La porte-parole Céline Legault écrit que certaines exigences de licence sont remplacées «par d’autres encore plus restrictives qui se traduiraient potentiellement en plus d’investissements en contenu original ».
Elle reprend le cas de Série +. À compter de septembre, la chaîne devra passer de 30 à 35% de contenu canadien et il lui faudra augmenter de 17 à 26% la part de ses revenus consacrée à l’acquisition ou à la production d’émissions canadiennes. Ces modifications forceront le réseau à consacrer environ 7,8 millions à cette faveur nationale.
«Considérant ces nouvelles exigences de diffusion et de dépenses, le Conseil n’a pas renouvelé la condition de dépenses de 1,5 million par année en émissions originales, écrit Mme Legault au Devoir. Le Conseil est d’avis que les nouvelles mesures sont plus qu’adéquates pour assurer que Séries + continue à offrir un contenu canadien de qualité à ses téléspectateurs. »
Cependant, ces nouvelles règles ne parlent pas de la langue de ces productions. Plusieurs observateurs, le ministre québécois et le député du NPD craignent que les empires médiatiques comme Bell ou Corus ne déversent dorénavant davantage de productions doublées sur leurs chaînes en français.
Dans un texte publié mercredi dans Le Journal de Montréal, le chroniqueur Michel Girard liait le changement réglementaire à la concentration accrue des réseaux québécois au sein d’entreprises contrôlées de Toronto. La québécoise Astral a été vendue à la canadienne BCE en 2013, qui a ensuite vendu Série + et Historia à l’ontarienne Corus.