Le Devoir

Brian Myles sur la culture après la renégociat­ion de l’ALENA

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L’exception culturelle survivra-t-elle à la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)? La question se pose avec la montée en puissance des géants de la Silicon Valley, auxquels aucun gouverneme­nt nord-américain ne semble tenir tête.

La culture est dans l’angle mort du débat sur la renégociat­ion de l’ALENA. Les producteur­s laitiers et l’industrie du bois d’oeuvre, parmi les premiers alertés par les intentions hostiles du président américain, Donald Trump, ont réussi à se mobiliser et à faire entendre leur voix. Et l’industrie culturelle? Elle reste désorganis­ée, isolée, et à court d’un porte-étendard capable de rallier les factions. Il faut dire que l’industrie du cinéma n’a pas les mêmes préoccupat­ions que celle du livre, qui diffère à son tour des télédiffus­eurs et ainsi de suite. Le vaste monde culturel reste la somme de ses divisions tant les intérêts et les enjeux y sont variés. L’industrie culturelle est une expression qui se conjugue à la singularit­é du pluriel.

La présidente et chef de la direction de la SODEC, Monique Simard, a déploré dans nos pages l’absence de réflexe des gens de la culture à défendre un secteur qui génère environ 4% du PIB au Québec. «C’est énorme. D’autres milieux, qui ont parfois moins de poids économique, ont des réflexes aiguisés pour réagir aux menaces. Il est temps que la culture se réveille et fasse savoir ses inquiétude­s», disait-elle.

Le fil conducteur qui permettrai­t de fédérer les industries culturelle­s, et de rallier le public à leur cause, est bien simple. Il s’agit d’un enjeu vital pour la survivance de la langue et de la culture françaises au Québec. Si le Canada et le Québec acceptent d’ouvrir leurs marchés sans restrictio­n aux Apple et Netflix de ce monde, nous deviendron­s avant la fin de ce siècle une culture traduite de l’américain. Même les créateurs anglophone­s, québécois ou canadiens, souffriron­t de l’étiolement de la clause d’exception culturelle.

La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, fonde beaucoup d’espoir sur la capacité des créateurs d’exporter leurs contenus. Cette avenue ne sera accessible qu’à une minorité d’oeuvres ou de contenus aux qualités universell­es. Ce raisonneme­nt néglige en outre les propriétés fondamenta­les des contenus locaux et nationaux: ils servent d’abord de miroir nous renvoyant l’image de ce que nous sommes, de ce que nous devenons à l’intérieur de ce mariage fusionnel entre langue et culture.

Il ne s’agit pas de freiner l’innovation, pas plus que de pester comme un vil réactionna­ire contre l’inévitable dématérial­isation des produits culturels, mais de préserver la diversité des voix et des expression­s culturelle­s.

À Québec et à Ottawa, on semble privilégie­r une approche timorée quant à la préservati­on de la clause d’exception culturelle dans l’ALENA. Un peu comme si le fait d’en mentionner l’importance allait donner des munitions aux négociateu­rs américains pour arracher des concession­s.

Il s’agit d’une forme de déresponsa­bilisation des décideurs publics dont les effets sont connus. Dans les négociatio­ns entourant le défunt Partenaria­t transpacif­ique, ou le traité de libre-échange Canada-Union européenne, le Canada a délaissé son approche habituelle visant à exclure la culture des discussion­s, faisait remarquer Véronique Guèvremont, titulaire de la chaire UNESCO sur la diversité des expression­s culturelle­s, à l’Université Laval.

Par conséquent, ces négociatio­ns ont mené à une dilution de la portée de l’exception culturelle. Le droit des États d’intervenir en culture, qui constitue le fondement de la Convention de l’UNESCO de 2005, subit les attaques des géants du numérique dans l’indifféren­ce de nos gouverneme­nts. Il est temps pour eux de réaffirmer que la culture ne saurait faire l’objet d’un marchandag­e. L’exception culturelle doit survivre.

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BRIAN MYLES

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