Julien Tourreille sur Trump et le piège afghan
Le comportement du président Trump au cours de son premier déplacement officiel à l’étranger a été largement observé et analysé. De nouveaux éléments alimentent par ailleurs presque quotidiennement l’affaire russe dans laquelle sa Maison-Blanche est embourbée. Dans le tourbillon de l’actualité, un sujet passe cependant quelque peu inaperçu. Trump serait sur le point d’envoyer jusqu’à 5000 soldats supplémentaires en Afghanistan. Pourquoi le chantre de «l’Amérique d’abord» se laisserait-il aller à doubler la mise dans une mission où les intérêts américains sont si peu évidents ?
Intervention militaire la plus longue de l’histoire des États-Unis (elle est dans sa seizième année), l’opération en Afghanistan mobilise actuellement plus de 8400 soldats américains. Environ 6000 d’entre eux sont affectés à la mission de formation, d’assistance et de conseil que l’OTAN mène dans le pays. Le reste, essentiellement des membres des forces spéciales, est déployé dans une opération distincte de lutte contre le terrorisme.
L’interminable guerre
Dans ce dossier afghan, la position dans laquelle se trouve Trump ressemble à celle de Barack Obama en 2009. Un président inexpérimenté subit la pression d’une institution militaire plaidant pour l’envoi de troupes supplémentaires afin d’assurer un succès qui, promet-elle, est à portée de main. Consenti fin 2009 par Obama au terme d’un laborieux processus décisionnel, ce sursaut n’a produit aucun résultat tangible en matière de stabilité de l’Afghanistan et de capacité des autorités de Kaboul à contrôler l’ensemble du territoire. Plus modeste, celui suggéré à Trump devrait produire les mêmes effets.
Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, l’objectif de l’intervention américaine en Afghanistan était relativement simple et clair : renverser le régime taliban qui refusait de livrer le responsable des attaques contre New York et Washington, Oussama ben Laden. Avec l’engagement de l’OTAN, cette mission en est progressivement devenue une de «nation building» consistant à accompagner la transition démocratique de l’Afghanistan.
Elle a échoué. Deux raisons sont pourtant avancées pour justifier un engagement continu et conséquent en Afghanistan. Il faudrait, d’une part, éviter que le pays ne redevienne un sanctuaire pour des groupes terroristes islamistes, hier alQaïda, aujourd’hui le groupe État islamique. D’autre part, les troupes étrangères devraient contribuer à briser la dynamique de l’insurrection talibane et ainsi la forcer à des concessions dans le cadre de négociations de paix avec les autorités de Kaboul.
Lors d’une audition fin février devant la commission des forces armées du Sénat, le commandant américain en Afghanistan, le général John W. Nicholson, qualifiait la situation d’«impasse». De fait, depuis le départ de l’essentiel des troupes étrangères en 2014 (il y a un peu plus de 12 000 soldats en ce moment contre un sommet de 130 000 en 2012), les talibans n’ont cessé de reprendre du territoire et de mettre à mal la sécurité du pays.
Depuis 2001, plus de 20 généraux américains ont commandé les forces des États-Unis ou de l’OTAN en Afghanistan. Tous ont échoué.
La victoire impossible
Deux raisons fondamentales expliquent l’échec des États-Unis et de leurs alliés en Afghanistan. Premièrement, le prérequis à une opération de contre-insurrection réussie est l’existence d’un partenaire local efficace et légitime. Ce n’est pas le cas du gouvernement de Kaboul, gangrené par la corruption et les divisions politiques. Les forces de sécurité afghanes demeurent quant à elles extrêmement friables, malgré les milliards de dollars investis et la formation fournie par les puissances étrangères.
Deuxièmement, les États-Unis, de même que leurs partenaires au sein de l’OTAN, ne semblent avoir ni de définition claire de ce que serait un succès en Afghanistan ni de stratégie pour y arriver. Ils négligent ainsi la dimension régionale du conflit, alors que la force des talibans provient en bonne partie du refuge et des appuis dont ils bénéficient au Pakistan. Les décideurs politiques semblent prisonniers de critères de progrès que leur présentent les responsables militaires. Ces critères justifient depuis plus de 15 ans le maintien de la même tactique. Or, la victoire et la fin de l’engagement en Afghanistan restent élusives et illusoires.
Depuis 2001, plus de 20 généraux américains ont commandé les forces des États-Unis ou de l’OTAN en Afghanistan. Tous ont échoué. Alors que l’élimination de Ben Laden en mai 2011, au Pakistan, aurait pu être le prétexte parfait pour mettre un terme à une mission impossible, l’obstination afghane apparaît davantage aujourd’hui comme le refus de responsables militaires de reconnaître la défaite. Soucieux d’être perçu comme un gagnant, le président Trump semble condamné à se faire enfermer dans ce piège. L’Afghanistan risque alors de devenir le cimetière de sa doctrine de l’« Amérique d’abord ».