Bisbille au Front national
Les tensions montent entre souverainistes et conservateurs
Les tensions ne sont pas nouvelles au Front national. Elles ont jalonné l’histoire de ce parti qui a même failli disparaître en 1998 alors que le leader nationaliste Bruno Mégret était parti avec une frange significative du parti pour fonder le Mouvement national. L’aventure n’eut pas vraiment de suites et le vieux roublard qu’était Jean-Marie Le Pen réussit à préserver son patrimoine familial. Il n’en demeure pas moins que lorsque Marine Le Pen succéda à son père, en 2011, ce fut avec l’idée de réaliser en partie le programme de recentrage du parti qu’avait formulé Bruno Mégret 13 ans plus tôt.
Le FN serait-il à la veille d’une nouvelle scission? Chose certaine, même en pleine campagne des législatives, le parti cache mal les dissensions qui l’agitent. Les tensions sont d’autant plus vives que la fin de la campagne a laissé un goût amer aux militants. Certes, le parti a rallié 10,6 millions d’électeurs (3 millions de plus qu’au premier tour et 4 millions de plus qu’en 2012). Pourtant, contrairement à ce qu’annonçaient tous les sondages, Marine Le Pen n’est pas arrivée en tête du premier tour. Mais surtout, le parti ne s’est pas encore remis de la honte qu’a inspirée à tous sa performance au débat d’entre-deux-tours, où elle n’est jamais apparue comme une «présidentiable». Plusieurs ténors du parti n’hésitent plus à mettre ouvertement en cause une stratégie largement inspirée par son bras droit Florian Philippot.
Le boulet de l’euro
Dans une récente biographie consacrée au numéro deux du parti (Philippot 1er, le nouveau visage du Front national, Plon), les journalistes Astrid de Villaines et Marie Labat se demandent comment cet homme de gauche élevé dans un milieu d’instituteurs républicains a pu franchir les portes du Front national et connaître une ascension aussi rapide. C’est à cet ancien énarque de 35 ans que l’on doit, écrivent les auteures, «la ligne sociale, à destination des catégories populaires, celle dont font partie les déçus du hollandisme, les victimes de la crise, les oubliés, ceux qui s’opposent à la loi Travail et au programme de “casse sociale”. »
Tant que cette stratégie permettait de conquérir les anciens bastions ouvriers du Nord et de l’Est, où se présentent d’ailleurs Marine Le Pen et Florian Philippot, elle n’était pas remise en question. Maintenant qu’elle connaît ses premiers ratés, on découvre que si la ligne Philippot a séduit Marine Le Pen, il n’en va peut-être pas de même avec le parti.
Au coeur de cette stratégie, on trouve la sortie de l’euro. Cette sortie est à ce point centrale pour Florian Philippot qu’il a admis le 19 mai dernier qu’il quitterait le FN si elle devait être mise entre parenthèses. Dans la foulée, il a annoncé la création de son propre courant au sein du FN appelé Les Patriotes. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Certains militants, comme le député européen Alexandre Sulzer, n’hésitent pas à évoquer une éventuelle expulsion. Ce qui a forcé Marine Le Pen à faire une mise au point. «Florian Philippot a toute sa place au sein du FN», a-telle déclaré. Avant d’évoquer ouvertement l’hypothèse de son départ quelques jours plus tard.
Derrière ces dissensions d’appareil, et à l’approche d’un congrès qui pourrait se tenir au début de 2018, se cache un véritable débat de ligne. Tous les sondeurs le savent, si la critique de l’Union européenne est largement partagée dans l’électorat français, il en va autrement de la sortie de l’euro. Peuple de propriétaires avec un taux très élevé d’épargne, les Français rejettent massivement l’inconnu où les jetterait une sortie unilatérale de la monnaie unique. Or, si le débat d’entre-deux-tours a démontré une chose, c’est bien que Marine Le Pen n’avait pas la moindre idée de la façon dont se déroulerait cette sortie. Dans Le Figaro, l’influent journaliste Éric Zemmour n’hésite pas à qualifier de «fiasco» la stratégie suivie par le FN dans cette présidentielle. Et il ajoute : «On peut se demander aujourd’hui si ce n’est pas la candidate qui plombe son camp et les idées qu’elle est censée défendre.»
Une portion significative des cadres du FN est convaincue que le parti ne brisera jamais son «plafond de verre» s’il demeure sur cette ligne trop à gauche et strictement souverainiste. Ils en veulent pour preuve que, malgré les appels du pied de Marine Le Pen, seule une infime minorité des électeurs de Jean-Luc Mélenchon s’est reportée sur elle au second tour. Les Français ont rejeté «en bloc» la sortie de l’euro, «il faut en prendre acte », a déclaré l’économiste du FN Bernard Monot.
Un parti plus conservateur
Pour toute une branche du parti, l’avenir du FN se trouve plutôt à droite. Là justement où Les Républicains sont en train d’imploser à cause de la stratégie «ni droite ni gauche» du président Emmanuel Macron. Des leaders comme Gilbert Collard, Robert Ménard et Marion Maréchal-Le Pen rêvent depuis longtemps de nouer des alliances avec certaines fractions des Républicains. Une perspective d’autant plus ouverte aujourd’hui que personne ne sait ce qu’il adviendra du parti après les élections législatives.
Déjà, des élus comme Bruno Lemaire et Gérald Darmanin n’ont pas craint d’intégrer le gouvernement. On sait que les partisans d’Alain Juppé s’apprêtent à soutenir le nouveau président. Cela laisse en plan toute la droite sarkoziste, représentée notamment par Laurent Wauquiez. Le président de la région Provence-Côte d’Azur ne se reconnaît guère dans une droite européiste et libérale aussi bien en économie que sur les questions politiques et culturelles. Juste avant d’abandonner temporairement ses fonctions au FN, Marion MaréchalLe Pen avait avoué que Wauquiez et elle auraient «des choses à se dire et à faire ensemble ».
Parions qu’après ces élections législatives, la droite ne manquera pas d’orphelins en quête d’une famille politique. On pense à Nicolas Dupont-Aignan, dont le petit parti, Debout la France, a été passablement éprouvé par son alliance avec le FN entre les deux tours. Alliance qui lui aurait aussi attiré de nouveaux militants, dit-il. On pense à l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, qui se présente à Paris et qui avait refusé de choisir entre Macron et Le Pen au second tour. On pense à Marion MaréchalLe Pen, maintenant libre de toutes attaches au FN et qui est proche d’une nouvelle nébuleuse de jeunes intellectuels et militants qui s’affichent ouvertement conservateurs aussi bien sur les questions économiques et sociétales que culturelles. La fin des législatives pourrait annoncer un grand rebrassage des cartes à droite, si celle-ci ne veut pas demeurer à jamais dans l’opposition. Ou si elle veut au moins en constituer une digne de ce nom.