Trop de dégâts pour les productions québécoises
PIERRE NANTEL Député néodémocrate de Longueuil–Saint-Hubert Lettre à Mélanie Joly, Ministre du Patrimoine canadien
Les décisions prises par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), présidé par Jean-Pierre Blais, le 15 mai dernier, ont déjà causé — en quelques jours seulement — l’annulation de plusieurs émissions québécoises grand public.
Ce n’est qu’un début. Avec les nouvelles conditions des licences télé annoncées par le CRTC, sabrant les dépenses obligatoires des grandes entreprises médiatiques dans les émissions d’ici et de langue française, nos industries culturelles se préparent à subir de violentes baisses de financement. Elles dénoncent unanimement ces décisions.
On peut imaginer que ce n’était pas l’intention de Jean-Pierre Blais. Il savait pourtant, Madame la ministre, que vous avez passé la dernière année en consultations sur l’avenir de nos industries culturelles. Il sait que vous avez promis une réforme, aussi fondamentale que celle de Pierre Juneau qui assure la présence du contenu d’ici sur nos écrans depuis 1970.
Vous aviez promis ces réformes pour le printemps 2017. Force est de constater que le retard dans vos travaux ne se compte maintenant plus seulement en mois, mais aussi en emplois perdus. Néanmoins, par respect pour votre travail, JeanPierre Blais aurait dû avoir la décence d’attendre vos conclusions avant de redessiner, en faisant cavalier seul, les règles qui gouvernent les grands diffuseurs.
Trois solutions
Madame la ministre, le milieu culturel québécois vous regarde en espérant une intervention. Voici trois solutions à court terme pour sortir de cette impasse.
Votre gouvernement a le pouvoir exceptionnel de renvoyer une décision du CRTC pour de nouvelles audiences, lorsqu’une décision nuit par exemple à la production indépendante, ou l’atteinte d’autres objectifs inscrits dans la Loi sur la radiodiffusion. Je vous demande exceptionnellement — compte tenu de la gravité des conséquences pour l’industrie — de renvoyer les décisions du 15 mai pour réexamen, pour que le Conseil puisse constater les dégâts causés par ces décisions.
Votre gouvernement peut donner une directive générale au CRTC. Je vous invite donc à exiger exceptionnellement du CRTC un moratoire sur les décisions qui pourraient affecter nos industries culturelles, d’ici à ce que vous ayez livré les conclusions de vos consultations et mis sur pied les réformes promises.
Enfin, alors que vous vous apprêtez à remplacer Jean-Pierre Blais à la tête du CRTC d’ici un mois, je vous demande de vous assurer que la nouvelle présidente ou le nouveau président du CRTC connaît nos industries culturelles et est prêt à les défendre. Le CRTC doit croire à la réglementation de notre écosystème et ne pas avoir peur d’Internet — parce qu’aujourd’hui la télévision et la radio sont sur le Web. Le CRTC doit se remettre à croire à notre culture, et jouer son rôle d’organisme réglementaire.
Si le CRTC a senti le besoin de niveler vers le bas les conditions de licence des grands groupes et de les libérer du soi-disant «fardeau» de la programmation canadienne, c’est parce que d’autres joueurs — des diffuseurs en ligne établis ailleurs, diffusant sur Internet, qui profitent de notre appétit culturel tout en évitant l’impôt — constituent une concurrence déloyale. Le Canada doit avoir le courage de reconnaître ces diffuseurs en ligne comme des diffuseurs à part entière, avec des responsabilités citoyennes envers notre culture.
Qu’on se le dise: au rythme où vont les choses, si rien n’est fait, dans cinq ans, nous ne verrons tout simplement plus de séries québécoises sur nos écrans. On risque plutôt de ramener le Québec 50 ans en arrière, quand on nous servait des séries américaines, traduites de l’anglais. Personne ne voudrait voir votre démarche associée à un tel recul historique.