Réduire l’allergénicité des légumineuses
Au Centre de recherche et de développement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada à Saint-Hyacinthe, la chercheuse Lamia L’Hocine s’est appliquée à vérifier si le mode de cuisson des légumineuses influence leur potentiel allergène.
Comme pour le poisson, on veut promouvoir la consommation de légumineuses, qui constituent un aliment sain en raison de leur fort contenu en fibres, en protéines et en glucides et qui sont exemptes de gras. Toutefois, certaines légumineuses, comme l’arachide, le soya et le lupin, contiennent des protéines au fort potentiel allergène, qu’on voudrait atténuer, fait valoir la chercheuse.
À l’aide d’un modèle de système digestif dynamique qui simule les temps de transit et adapte la concentration des enzymes, comme les protéases, en fonction de la composition de l’aliment comme le fait normalement le corps humain, Mme L’Hocine a comparé la digestion de légumineuses ayant été bouillies, en l’occurrence des arachides et des fèves blanches, à celle de ces mêmes légumineuses ayant été rôties. Pour connaître le potentiel allergène des légumineuses bouillies une fois digérées et celui des légumineuses rôties, elle a mis les deux préparations en présence de sérum de personnes allergiques, lequel reconnaîtra les protéines allergènes et fabriquera des anticorps contre ces protéines.
La chercheuse a voulu tester le traitement thermique par rôtissage et le comparer à l’ébullition étant donné qu’en Amérique du Nord on consomme les arachides principalement rôties et que les fèves blanches sont de plus en plus souvent rôties dans le but d’éliminer ce goût caractéristique des légumineuses qui déplaît à certains et de leur «donner une meilleure flaveur ». «On rôtit les fèves blanches et on en fait des farines qu’on peut incorporer dans différents aliments», précise-t-elle.
Rôties contre bouillies
En suivant la déstructuration de ces aliments dans le système digestif artificiel du laboratoire, Mme L’Hocine a constaté que les arachides bouillies se dégradaient beaucoup plus rapidement que les arachides rôties. Et plus elle rajoutait de gras aux arachides, comme ça se fait lors de la préparation du beurre d’arachides, plus la dégradation était lente. En d’autres termes, «les arachides rôties et le beurre d’arachides sont beaucoup moins digérés que les arachides bouillies, ce qui fait qu’une plus grande quantité de protéines non digérées arrive au duodénum, qui est le site d’absorption des aliments digérés et aussi le lieu où le système immunitaire intestinal entre en contact avec eux. Or, on sait que plus la protéine reste intacte dans le tube digestif, plus elle risque d’induire une réaction allergique chez les personnes prédisposées à l’allergie», souligne la chercheuse.
Des recherches ont montré que, chez les personnes qui sont prédisposées à l’allergie, la muqueuse intestinale est un peu plus perméable, «elle absorbe plus de protéines intactes, et cela augmente le risque que le système immunitaire les reconnaisse comme des allergènes, tandis que si ces protéines sont dégradées, ce risque est moindre », ajoute la scientifique. Les arachides rôties et le beurre d’arachides augmentent donc le risque d’allergie étant donné que leur digestion laisse beaucoup plus de protéines allergènes intactes.
«Ces résultats ne veulent toutefois pas dire qu’une personne qui est allergique aux arachides n’aura pas de réaction si elle les consomme bouillies. Nos résultats nous permettent seulement d’affirmer que les protéines des arachides bouillies sont digérées plus rapidement, ce qui fait que, pour une personne qui n’est pas sensibilisée, le fait de manger des arachides bouillies fera qu’elle risque moins de développer une allergie, car le développement de l’allergie se passe en deux temps. Il y a d’abord l’étape de sensibilisation, qui a lieu au niveau du système immunitaire gastro-intestinal, et, une fois sensibilisée, la personne aura une réaction allergique lorsqu’elle entrera en contact avec la protéine allergène. Ainsi, on pourrait peut-être empêcher l’étape de sensibilisation en faisant bouillir les légumineuses et ainsi diminuer le risque de développer une allergie», explique Mme L’Hocine.
Fèves blanches
La chercheuse a observé le même phénomène avec les fèves blanches. Quand celles-ci avaient été bouillies, leurs protéines se dégradaient très rapidement dans le système digestif, alors que quand elles avaient été rôties, leurs protéines résistaient plus à la digestion. De plus, quand on introduisait les fèves blanches dans des mélanges à biscuits, par exemple, qui contenaient beaucoup de gras et de sucre, leurs protéines résistaient encore plus au processus de la digestion.
Prudente, la chercheuse a insisté sur le fait que ces résultats ont été obtenus sur un modèle in vitro. «L’idéal serait de faire ces expériences sur des modèles animaux in vivo pour arriver à des conclusions plus réelles », dit-elle.