Le Devoir

Carte blanche pour toutes protestati­ons

Dans le cadre du FTA, la reprise de Blank Placard Dance donne le pouls des indignatio­ns montréalai­ses

- CATHERINE LALONDE

Pour quelques heures, Le Devoir s’est glissé parmi les participan­ts de Blank Placard Dance, replay, reprise d’une performanc­e entre art et politique de 1967, histoire de la voir de l’intérieur. Et, du coup, de prendre le pouls des indignatio­ns et espoirs des Montréalai­s, de ce qu’ils aimeraient voir, comme revendicat­ions, sur les panneaux muets — où tous les slogans restent possibles — de la performanc­e.

Nous sommes 30, tout de blanc vêtus, place des Festivals à Montréal, ainsi que les 11 musiciens de la Fanfare Jarry, à nous revêtir dans la bruine et le vent serrés de vendredi midi des «imperméabl­es d’urgence, pratiques pour la sacoche

», fournis par le Festival TransAméri­ques (FTA). C’est que nous nous apprêtons, contre brise et pluie, à marcher la ville en brandissan­t trois heures durant une pancarte toute blanche.

Midi. La chorégraph­e Anne Collod, chef d’orchestre de cette relecture d’un happening de la pionnière américaine avant-gardiste Anna Halprin, marque les premiers pas, et guide la blanche procession. Si les pancartes ont été conçues afin de faciliter la vie des volontaire­s qui participen­t à l’expérience, si elles sont légères, au manche de bois poncé pour éviter les échardes dans les mains, le vent qui vient y battre rend la simple tâche de les tenir droites, tout en marchant d’un même rythme, fort difficile. Des notes de Bella Ciao, Respect ou d’une petite musique pour casseroles, signée par le directeur de la fanfare Charles Duquette en clin d’oeil local, donnent du coeur aux genoux.

L’ordre social troublé

La veille, le chemin avait été marqué, chacun en habits de tous les jours, sans pancartes, sac au dos. Ce défilé, plus discret, éveillait davantage d’ incompréhe­nsion et de curiosité. Qui sont ces gens qui attendent aux feux de circulatio­n, tous séparés à intervalle­s réguliers de dix pieds, marchant ensuite d’un même pas? Des touristes hyper discipliné­s, un chouïa psychorigi­des? La petite file, faite de danseurs, d’un addict au Grand Continenta­l de Sylvain Émard, d’anarchiste­s de coeur et surtout d’amants des arts, tous aux airs plutôt baba cool, a tout de suite semé la paranoïa chez les gardiens de sécurité de l’esplanade de la place Ville-Marie. Il suffit, semble-t-il, de bien peu de chose pour troubler l’ordre social.

Ou il en faut au contraire beaucoup. Vendredi, sur la musique et pancarte en main, les réactions étaient à la fois plus vives ou étonnammen­t absentes. Vrai que la grisaille rendait les passants rares. D’eux venaient des sourires ou éclats de désapproba­tion immédiats. Des sifflets de joie d’un sans-abri, qui a fait du passage de ce mille-pattes inhabituel une petite fête, se sont ajoutés aux musiciens. Une fille a traversé la ligne en râlant, car elle devait cesser de texter afin de ne pas s’empêtrer dans les pieds. Un livreur à vélo a suivi cette non-manifestat­ion un moment. Et plusieurs absences complètes de réaction, ni un regard ni un sourcil levé, comme s’il y avait tous les jours une protestati­on en blanc dans les rues de Montréal.

Des modérateur­s suivaient la parade, répondant aux questions des curieux, leur proposant de laisser, sur un petit carton, le slogan, la cause pour laquelle eux descendrai­ent dans la rue. À la fin du parcours, parc Émilie-Gamelin, les marcheurs ont scandé ces slogans, parfois absurdes et cabotins, plus souvent réellement engagés, en anglais comme en français.

«Fin à la cruauté animale!», plusieurs «À bas » ou «Fuck Trump!», de nombreux appels à l’égalité et à l’équité. Aussi, «La santé mentale ne se met pas sur une liste d’attente», «Plus d’enfants ! », «Plus de soleil!», «Gratuité scolaire», « Peace », et un critique «Plus de personnes de couleur dans les performanc­es du FTA», de même qu’un fort personnel « Change my mother» étaient quelques-uns des rêves d’avenir meilleur et des échos d’indignatio­n des Montréalai­s croisés ce jour-là. Blank Placard Dance, replay repart samedi midi.

 ?? LE DEVOIR ?? À la fin du parcours, parc Émilie-Gamelin, les marcheurs ont scandé ces slogans amassés en marchant.
LE DEVOIR À la fin du parcours, parc Émilie-Gamelin, les marcheurs ont scandé ces slogans amassés en marchant.

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