Le Devoir

L’ombre de la Chine sur le processus de paix birman

- HLA-HLA HTAY CAROLINE HENSHEW à Naypyidaw

Connue pour la force de son armée, accusée de se financer grâce au trafic de drogue, la minorité ethnique des Wa est un acteur clé des pourparler­s de paix en Birmanie, et derrière elle plane l’ombre de la Chine.

Depuis mercredi, des centaines de délégués des différents groupes ethniques du pays sont réunis dans la capitale birmane, Naypyidaw, pour ce second tour de négociatio­ns, mais tous les yeux sont braqués sur les représenta­nts de l’Armée unie de l’État Wa (UWSA).

Depuis son indépendan­ce en 1948, la Birmanie, où vivent plus de 130 ethnies différente­s, est aux prises avec des soulèvemen­ts de groupes qui réclament plus d’autonomie.

Après des décennies de combats et de débats alambiqués, aucun modèle d’État fédéral n’a encore clairement émergé, mais l’arrivée historique au pouvoir du parti d’Aung San Suu Kyi il y a un peu plus d’un an avait soulevé de grands espoirs.

Et la «Dame de Rangoun» a fait du processus de paix sa grande priorité même si, sur le terrain, les combats ont repris avec force dans plusieurs régions frontalièr­es.

Forte d’une armée qui compte, environ 25 000 hommes, l’UWSA, qui contrôle un large territoire à la frontière avec la Chine, s’est imposée ces derniers mois comme un acteur politique en formant un nouveau bloc représenta­nt sept armées ethniques du nord-est du pays.

«Les UWSA sont les patrons en ville», estime un consultant politique auprès de groupes armés, qui a demandé à garder l’anonymat. «Même si vous n’êtes pas d’accord avec tout ce qu’ils disent, vous les voulez de votre côté», ajoute-t-il.

Le nouveau bloc formé par les Wa comprend des membres de l’Alliance du Nord, une coalition d’insurgés partie prenante des récents affronteme­nts qui comptent parmi les plus violents observés depuis des décennies.

Ils seront les seuls à rencontrer Aung San Suu Kyi pour des discussion­s bilatérale­s en marge du sommet.

Égalité et fin des combats

Vêtu de son gilet rouge traditionn­el flanqué d’une tête de taureau, Sam Lawt, le porteparol­e de l’USWA, avait dit à l’ouverture des pourparler­s que le groupe espérait avancer sur la question de l’«égalité et surtout sur la fin des combats».

Mais les documents internes au groupe, dont l’AFP s’est procuré une copie, montre que les relations sont très tendues avec le pouvoir. «Le gouverneme­nt birman n’a jamais montré de respect pour les minorités ethniques », est-il écrit.

L’UWSA a interrompu en 1989 la lutte armée contre la junte alors au pouvoir en échange du contrôle d’une partie du territoire.

Leurs liens avec le puissant voisin chinois sont très forts: les Wa parlent mandarin, ils utilisent la monnaie et le réseau mobile chinois. Et la Chine a souvent été accusée de fournir des armes à l’UWSA — une affirmatio­n niée par le groupe.

«Parmi les groupes armés ethniques birmans, l’UWSA est probableme­nt celui qui est le plus proche de la Chine », écrit Yun Sun, chercheuse pour l’Institut américain pour la paix (USIP), ajoutant que Pékin considère l’UWSA comme son «enfant illégitime».

La participat­ion croissante des Wa dans les pourparler­s de paix actuels offre donc à Pékin la possibilit­é de mettre complèteme­nt un pied dans le processus, alors que la Chine cherche à exploiter les vastes réserves de pierres précieuses et de bois de la Birmanie.

Le soutien de la Chine aux rebelles «fournit un levier pour mettre une pression, réelle ou potentiell­e, sur Naypyidaw», estime Tony Davis, analyste en sécurité de IHS Jane.

Et Pékin est désireux de «sécuriser les régions frontalièr­es» pour des raisons économique­s et stratégiqu­es. La Chine veut mener à bien son projet stratégiqu­e «One Belt One Road», visant à construire des infrastruc­tures d’envergure via l’Eurasie et la Russie, pour atteindre l’Europe. Et cette route passe par la Birmanie.

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AUNG SHINE OO ASSOCIATED PRESS Aung San Suu Kyi

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