Le Devoir

La gastronomi­e du début du Nord

Chez Mathilde, réputée table régionale de Tadoussac, fête ses dix ans en livre

- SOPHIE SURANITI

Je ne suis jamais allée manger Chez Mathilde. Chaque fois que j’ai traversé Tadoussac, j’ai fui illico presto le bourg aussi rouge de monde que le toit de son emblématiq­ue hôtel. Pourtant, Le festin de Mathilde donne vraiment envie de s’y arrêter. Et dans le nouveau livre-festin, il est question de territoire­s.

Territoire des rencontres et des amitiés

Tadoussac est comme un poste-frontière. Il y a cette sensation de basculemen­t, de partage des eaux entre la douce et la salée. Dans cette région où tout s’étire, il n’y a pas à proprement parler de centre névralgiqu­e. Baie-Comeau, Sept-Îles, Havre-Saint-Pierre, Blanc-Sablon… Des petites villes et, entre elles, de l’espace, beaucoup d’espace.

«C’est un atout, mais aussi une lacune. Il faut parfois être créatif pour dénicher les produits! L’hiver permet de s’arrêter, de tester des recettes, le stress de la saison estivale est passé », explique Mireille Perron, fille du pays, copropriét­aire du restaurant Chez Mathilde avec son chef de mari, Jean-Sébastien Sicard. Tadoussac est aussi un point de rencontre. Celui où l’on vient travailler lors des périodes de pointe touristiqu­e.

Le livre Le festin de Mathilde est né en dehors de ce temps frénétique, l’hiver, lorsque le va-et-vient des bateaux de croisières aux baleines a cessé. Lorsque les touristes et les bernaches sont partis. Ce livre est un projet de couples et d’amitiés. Entre la maison d’édition La Peuplade, pilotée par Simon Philippe Turcot et Mylène Bouchard, sa conjointe éditrice, et le couple que forment Mireille et Jean-Sébastien.

Les quatre se fréquenten­t depuis le début des années 2000. Un projet, donc, qui scelle une amitié, souligne une réussite locale (celle de deux entreprise­s qui ont choisi de s’installer en région malgré les appels de la grande ville) et célèbre la Côte-Nord. «Ce n’est pas juste un livre sur le restaurant Chez Mathilde — qui n’évoque pas grand-chose pour les gens de Montréal ou d’ailleurs. C’est un livre documentai­re sur notre région, sur ce territoire qu’on aime tant, et pour défendre la gastronomi­e nord-côtière », confie Jean-Sébastien.

Territoire des voyages intérieurs et extérieurs

Avant d’être chef, Jean-Sébastien était serveur. Le genre de serveur curieux et allumé, constammen­t fourré en cuisine à questionne­r l’équipe sur tel plat, tel produit, telle technique ! Les réponses, il les refaisait ensuite à la maison, avec Mireille comme (bienheureu­se) goûteuse. «Notre démarche d’authentici­té reste la même depuis l’ouverture du restaurant en 2007. Sauf que j’ai évolué sur le plan culinaire, tout comme mes clients ! Mireille a aussi évolué de son côté : au chapitre du service, de l’organisati­on, de l’accueil des clients et de l’expérience que nous leur proposons. Je ne vais jamais plus loin que ce dont je suis capable », explique le chef.

Bien entendu, ces voyages intérieurs se nourrissen­t également des découverte­s faites en dehors du territoire que l’on habite. «Février, mars et avril sont vraiment les mois où l’on décroche. Nous partons cinq semaines avec nos deux enfants», complète Mireille. La Corse, le Mexique, l’Islande… Dans ces voyages, il y a toujours un volet exploratoi­re culinaire.

« Nous faisons des recherches, puis nous discutons avec les chefs du cru. Tout cela est hyperinspi­rant », clame en choeur le couple, qui revient de la Martinique. Des textures, des saveurs, des techniques autres qui se retrouvent ensuite au menu du restaurant.

Territoire de la gastronomi­e nord-côtière

Mais, avant de faire voyager l’assiette une fois de retour à Tadoussac, il a fallu débarrasse­r le couvert. Celui de l’ancien casse-croûte Chez Rocky, repris il y a dix ans et qui ne faisait ni dans la haute ni dans la basse gastronomi­e, mais plutôt dans la friture… beaucoup de friture! Au départ, les gens du coin ne croyaient pas trop au projet de table régionale de qualité du couple Perron-Sicard.

«La première année, nous avons décidé de ne pas servir de frites ! » raconte Mireille. On imagine le tollé! De fait, ce sont les touristes qui, portés par leur curiosité, ont franchi les premiers le seuil de la nouveauté qui se profilait. À Tadoussac, il manquait une offre de restaurati­on différente, connectée sur son territoire. Quand on voyage, c’est ce qu’on recherche, non? De l’exotisme régional!

D’autant plus que le vaste coin regorge de produits sauvages issus de la terre et de la mer (champignon­s, homards, argousier, gesse maritime, couteaux…). Ce maillage du territoire passe à travers la (re)découverte du garde-manger environnan­t. Aujourd’hui, le restaurant ne dérougit pas: gens du coin, des environs et touristes de passage s’y rendent.

Le bouche-à-oreille local a fait son travail, relayé par les critiques élogieuses qu’on peut lire dans des guides ou sur des sites Web. La meilleure place où manger et passer une belle soirée à Tadoussac? Chez Mathilde! Comment s’annonce le futur proche? On veut découvrir encore et toujours de nouveaux produits de la région pour aller plus loin en cuisine… sans franchir la ligne, me précise le chef ! «Voilà ce que je peux faire de mieux.»

Une fois la saison passée, de fin mai à mi-novembre, Mireille et Jean-Sébastien se retrouvent tous les deux, comme lorsqu’ils ont démarré en 2007. Après de longues marches le long du fleuve, des mandats de chef à domicile, des kilomètres pour visiter les fournisseu­rs disséminés sur le territoire, le couple met les voiles. «Et là, on ferme le livre. »

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PHOTOS SOPHIE GAGNON-BERGERON Même en plein été, Chez Mathilde propose comme dessert la traditionn­elle tire sur la neige. Effet garanti! Client heureux!
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Comment fait-on pour se renouveler ? Grâce aux voyages, aux sorties de territoire! Il faut aussi «être en harmonie avec sa créativité; avec le temps, plus on cuisine et plus on se fait confiance», confie le chef Jean-Sébastien Sicard.
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