Le Devoir

Samy Moussa veut faire battre le coeur de la musique

Avec Moment Factory, le compositeu­r creuse le côté perpétuel et immortel de Montréal

- CHRISTOPHE HUSS

L’Orchestre symphoniqu­e de Montréal met un point final à sa saison avec son projet le plus ambitieux: une symphonie pour le 375e anniversai­re de Montréal, compositio­n de Samy Moussa mise en lumière par Moment Factory. Le Devoir s’est entretenu avec le Montréalai­s qui crée en préservant jalousemen­t sa liberté.

Samy Moussa, qui fêtera ses 33 ans jeudi prochain, n’est pas un inconnu ici. Kent Nagano avait déjà eu le nez creux en l’engageant pour la compositio­n d’une oeuvre destinée à l’inaugurati­on de l’orgue Pierre-Béique. A Globe Itself Infolding avait alors presque damé le pion à une compositio­n de la très réputée Kaija Saariaho, créée pour la même occasion.

A Globe Itself Infolding, qui sera reprise en ouverture du Festival de Lanaudière, vient d’être jouée à Toronto sous la direction de Stéphane Denève, ardent promoteur de cette nouvelle musique contempora­ine qui replace l’auditeur au centre du processus créatif. Samy Moussa y était: « L’orchestre a adoré, le chef et le public aussi. C’est une musique qui sonne bien. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas profonde, cela veut dire qu’elle n’est pas écrite contre l’orchestre, mais pour lui, avec respect et avec amour.»

C’est donc la fin des créations sans lendemain, du contempora­in alibi façon pilule amère de 10 minutes au début du concert? «Je me suis toujours senti absolument libre, aujourd’hui plus que jamais, et cette question est devenue centrale dans ma vie de musicien», concède Samy Moussa en entrevue au Devoir.

Lui qui vit en Allemagne depuis

dix ans voit son pays d’adoption comme un « autre monde» où «la musique a des connotatio­ns politiques». Samy Moussa y milite pour reconnecte­r la création musicale avec le monde: «En Allemagne, je suis une figure polémique, car j’exprime ouvertemen­t des critiques envers certains compositeu­rs, certaines oeuvres presque dangereuse­s. Toute une génération, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, y est encore complèteme­nt paralysée. J’ai la chance d’être un étranger : c’est ce qui me protège, car je suis libre.»

Au rayon des questions de politiques musicales, Samy Moussa, qui a fait ses études musicales avec José Evangelist­a à l’Université de Montréal, puis au Conservato­ire de Munich, nous rejoint pour considérer que le Québec a manqué l’occasion historique de faire de Jacques Hétu son Sibelius national. Éternel optimiste, le jeune musicien pense qu’il n’est pas trop tard: «Il est toujours temps de reprendre cela. Je continue à en parler: il faut, ici, un projet comme le projet Nielsen au Danemark, où l’État a financé l’édition complète des oeuvres de Nielsen, accessible­s gratuiteme­nt en télécharge­ment. En plus, éditoriale­ment, c’est le plus beau travail que j’ai vu. Ce n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres: cela rapportera. Une société culturelle­ment différente comme le Québec a besoin de cela: elle ne peut rester indéfinime­nt dans le cinéma et dans l’humour.»

Moussa, qui a très peu d’amis compositeu­rs — «ce n’est pas pour des raisons esthétique­s: ce n’est pas mon monde et j’évite d’être dans un ghetto», précise-til —, considère Thomas Adès comme le plus grand compositeu­r vivant: «Cela crève les yeux. C’est tellement évident que cela m’étonne que si peu de gens le comprennen­t. La révolution musicale de ce compositeu­r est proprement inouïe.»

Symphonie en lumière

Le titre de la 1re Symphonie de Samy Moussa, Concordia, dérive de la devise de Montréal: «Concordia salus» (le salut par la concorde). Si le travail avec l’équipe créatrice de Moment Factory s’est fait, justement, sous l’égide de la concorde, il était important aux yeux du compositeu­r que son oeuvre soit autonome, que la musique ait un sens en elle-même, « un peu comme les ballets de Stravinski ».

«Je suis serein. J’ai confiance en ce qu’ils feront et j’ai confiance en ce que j’ai fait. Mais, oui, l’oeuvre peut exister sans projection­s. Il le faudra», nous dit Samy Moussa.

Dans les faits, la symphonie Concordia est une oeuvre en quatre mouvements, division fort classique, dont « l’équilibre dramaturgi­que» convenait à Moussa. Le compositeu­r nous la décrit ainsi: «Le 1er mouvement, lent, a une particular­ité: l’absence de percussion­s. L’orchestre est plus ou moins brucknérie­n, la musique très concrète, c’est-à-dire qu’on est dans le contenu, les notes, et pas dans l’effet orchestral.»

Le second volet «alterne absence de temps et suspension de temps, ponctué d’éclats orchestrau­x et de cloches. Ici, nous avons des sons métallique­s. La musique accélère et certains motifs émergent. Cinq motifs différents sont superposés. Cela oscille entre ce que Boulez appelait, en 1963, le “temps strié” et le “temps lisse”. C’est le mouvement le plus bref, le plus éclatant, le plus étrange ».

Le 3e mouvement est un nocturne. Moussa a repris et légèrement adapté une oeuvre de 2014 qui s’est imposée comme le mouvement lent de cette pièce: «Parfois, c’est l’inconscien­t qui travaille: j’avais prévu de faire autre chose, mais je n’y arrivais pas, parce que ce n’était pas ce que cette symphonie me demandait, ce n’était pas ce que le 1er mouvement annonçait.»

Le nocturne est «le coeur émotionnel » de la symphonie, «auquel s’enchaîne un dernier mouvement très rapide qui, de prime abord, donne l’impression d’être minimalist­e, mais ce n’est pas le cas». Dans ce dernier épisode, «des lignes lentes s’ajoutent au canevas rapide, de sorte que la musique apparaît de plus en plus lente, jusqu’à un climax, une glaciation, où tout s’arrête». On sent, à écouter Samy Moussa, que ce moment touche particuliè­rement le compositeu­r. Puis «la musique repart et grandit vers une fin éclatante».

Le lien de l’oeuvre avec Montréal ne sera pas pseudohist­orique, décoratif ou narratif : «Le lien passe par l’artiste, le territoire où il a grandi. Il ne s’agissait pas de citer des musiques ou de faire des actes superficie­ls. C’est délicat d’en parler, mais il y avait un réel effort de ma part de penser à Montréal en écrivant cette pièce. Je pensais au territoire qui était là avant, qui était là il y a 375 ans et qui sera là dans 1000 ans. Ce qui m’intéresse, c’est son côté perpétuel et immortel.»

SYMPHONIE MONTRÉALAI­SE

Concert de clôture de l’OSM. Dvorák: Symphonie no 9, Du Nouveau Monde. Moussa: Symphonie no 1, Concordia, avec projection­s de Moment Factory. Maison symphoniqu­e de Montréal, mercredi 31 mai, jeudi 1er juin et vendredi 2 juin 2017 à 20 h.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «Il y avait un réel effort de ma part de penser à Montréal en écrivant cette pièce», affirme Samy Moussa.

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