Le Devoir

Montréal réinventée, une oeuvre à la fois

L’expo Ignition 13 et le travail de Karen Tam jouent avec la notion d’identité

- NICOLAS MAVRIKAKIS

C’est la 13e édition de l’exposition Ignition, événement qui permet de voir la création d’étudiants ayant achevé leur maîtrise en Studio Arts et leur doctorat en Humanities à l’Université Concordia. Par le passé, cette présentati­on nous a permis de découvrir (ou de mieux connaître) des artistes comme Tricia Middleton, Chih-Chien Wang, Olga Chagaoutdi­nova, Dil Hildebrand, Amélie Guérin, Karen Kraven, Étienne Tremblay-Tardif, Eugénie Cliche… et j’en passe.

Même si cette année les oeuvres ne sont peut-être pas toutes de force égale et que l’exposition se termine aujourd’hui samedi, je vous invite à vous y rendre. L’expo est dominée par la question de l’identité — sujet pas tout à fait nouveau en art contempora­in —, mais ces jeunes artistes, dont Boris DumesnilPo­ulin, Francisco GonzalezRo­sas, Annie Katsura Rollins, Naghmeh Sharifi, l’abordent de façon intelligen­te.

Parmi les pièces exposées, les oeuvres de Marion Lessard se démarquent. Alors que Montréal est fêtée et qu’on essaie d’insister sur l’histoire de la ville, Lessard se plaît plutôt à lui inventer une identité. Elle a pris des noms de rue dans le quartier Parc-Extension (Jarry, De Liège, Saint-Roch…) et a décidé d’écrire des histoires, de petites nouvelles, à propos de ces odonymes tout en bâtissant des cartes qui ressemblen­t à des faux parcours touristiqu­es.

Cela fait penser au travail qu’Annie Deschênes avait fait pour l’exposition Mémoire vive au Centre d’histoire de Montréal (en 2002), où elle avait recueilli les histoires arrangées et réinventée­s que racontent les conducteur­s de calèche et

Même s’ils sont tous vrais, les artefacts présentés par Karen Tam, ont un je-ne-sais-quoi d’artificiel et d’inauthenti­que. Pourtant…

les guides aux touristes à propos de Montréal. Lessard souligne ici comment l’identité est question d’invention.

On signalera aussi le travail de Brett Barmby (né à Vancouver), qui lui aussi s’inspire de la ville dans ses oeuvres intitulées Summer Abroad et Reception. Dans la première, il trace des parcours qui n’ont rien à voir avec celui des touristes, mais plutôt avec sa réalité de messager. Dans la seconde, vous pourrez voir les maquettes des bureaux de sécurité auxquels Narmby doit se présenter lorsqu’il livre paquets ou enveloppes. Son oeuvre nous montre comment une ville est bien différente selon le point de vue et les activités qu’on y tient.

L’oeuvre de Zinnia Naqvi met aussi en question la notion d’identité. Comme beaucoup d’artistes à leur début, elle se penche sur son histoire personnell­e. Elle utilise de vieilles photos de famille afin de reconstrui­re des récits qui intègrent les points de vue postcoloni­aux et féministes actuels.

Vraies fausses histoires

Même s’ils sont tous vrais, les artéfacts présentés par l’artiste Karen Tam ont un jene-sais-quoi d’artificiel et d’inauthenti­que. Pourtant… Vous y trouverez en particulie­r un jeu qui date des années 1960, que l’on pouvait vraiment acheter, et qui s’appelait Chop Suey. Comme le disait la publicité, on pouvait s’y adonner «sans avoir besoin d’être Chinois » et tenter d’attraper des objets avec des baguettes.

Tam nous présente aussi dans un bol tout un amoncellem­ent de petites languettes de papier que l’on retrouve dans les biscuits chinois, biscuits qui n’existaient pas en Chine, inventés en Californie au début du XXe siècle… C’était l’époque où pullulaien­t en Amérique du Nord ces restaurant­s chinois qui servaient une fausse cuisine orientale, une cuisine hybride qui est vite devenue très populaire.

C’est en fait le sujet de l’oeuvre que Karen Tam expose dans la vitrine que le centre Leonard et Bina Ellen a placée dans le hall de l’Université Concordia. Dans cette exposition, vous pourrez aussi voir de nombreux menus et cartes profession­nelles de ces restaurant­s. Depuis de nombreuses années, l’artiste Karen Tam s’inspire de cette culture de l’exotisme en en collection­nant et en conservant les traces.

Ces éléments nous permettent de mieux comprendre comment nous avons imaginé les Chinois et comment certains d’entre eux se sont réinventés en Amérique.

 ?? PAUL LITHERLAND ?? Vue de l'exposition Ignition 13. Avec des oeuvres de Zinnia Naqvi et de Brett Barmby.
PAUL LITHERLAND Vue de l'exposition Ignition 13. Avec des oeuvres de Zinnia Naqvi et de Brett Barmby.
 ?? PAUL LITHERLAND ?? Karen Tam, Souvenirs du Jasmine Café (détail), 2017
PAUL LITHERLAND Karen Tam, Souvenirs du Jasmine Café (détail), 2017

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