Les Patar, un monde à part
La vie d’une famille de joyeux bouffons dans une société qui n’entend pas à rire
Les baby-boomers n’ont pas le monopole des présences bruyantes dans les manifestations politiques. Le prologue du premier long métrage de la monteuse Sophie Reine, Cigarettes et chocolat chaud, le prouve de manière amusante, et éloquente : de 1986 jusqu’aux années 2000, un jeune couple de bohèmes se forme entre deux cris de ralliement, et quelques ellipses temporelles les présentent, toujours sur les barricades, avec leur belle marmaille. Ce n’était peut-être pas le début d’un temps nouveau, mais c’était le leur, et il était heureux.
Le «aujourd’hui» qui conclut cette séquence fait place à un peu de morosité, car la mère, une admiratrice de David Bowie, n’est plus de ce monde, et Denis Patar (Gustave Kervern, l’archétype parfait de l’ours mal léché) la pleure encore malgré la présence vivifiante de ses deux filles: l’aînée, Janine (Héloïse Dugas), et la cadette, Mercredi (Fanie Zanini). La maison, véritable auberge espagnole, témoigne du refus obstiné face au conformisme, mais aussi d’une misère matérielle camouflée sous les rires et les excentricités.
Entre ses deux boulots minables, dont un la nuit dans une boutique érotique et donc sans pouvoir surveiller ses gamines, Denis apparaît vite à bout de souffle, ce qui alarme les services sociaux. Toute la rigidité étatique semble déposée sur les épaules de la bien nommée Séverine (Camille Cottin, une actrice étonnante qui s’impose vite dans le paysage du cinéma français), assistante sociale déterminée à ramener Denis dans le droit chemin, car plane la menace d’une famille d’accueil pour ses deux filles. Et tout cela démarre par un stage obligatoire d’habiletés parentales, où le veuf, qui fait bien plus que de bafouer pour lui et les siens les règles du guide alimentaire, risque fort d’obtenir moins que la note de passage.
Sophie Reine ne fait pas de mystère sur les origines autobiographiques de cette comédie familiale dont l’apologie de l’anticonformisme ressemble, en moins ambitieux, à Captain Fantastic, de Matt Ross. Denis Patar n’a rien du tyran qu’incarnait Viggo Mortensen, mais leur désir de défier la normalité pour la pureté de leur progéniture en fait de véritables frères de sang.
On retrouve aussi dans Cigarettes et chocolat chaud les habituels travers du premier long métrage, comme cette manie de concentrer un maximum de thèmes en un minimum de temps : la cacophonie des cours de flûte à bec, le syndrome de Gilles de la Tourette, l’omniprésence de l’État dans la sphère privée, les affres du deuil, celui de la mère à jamais absente, mais aussi d’une enfance dont il faut s’arracher tôt ou tard.
Qu’un «petit» film français puisse s’octroyer une trame sonore aussi luxueuse, tapissée de plusieurs succès de David Bowie — la mère l’admirait à des niveaux stratosphériques —, témoigne de l’ingéniosité d’une cinéaste qui a tiré les bonnes ficelles pour convaincre cette star de la pop sophistiquée… juste avant qu’elle n’aille rejoindre Ziggy Stardust. Cette présence musicale (qui fait rêver, et un peu taper du pied) ne doit pas faire oublier que le titre du film, lui, s’inspire d’une chanson de Rufus Wainwright, autre marginal de la musique, qui s’harmonise parfaitement avec les tracas et les extravagances de la famille Patar, toujours un peu à part, même quand elle veut rentrer dans le rang.