Délit de fuite
Fulvio Bernasconi signe un drame introspectif tourné en Abitibi
Dans le paysage cinématographique suisse, Fulvio Bernasconi fait figure d’exception. Né à Lugano, il a fait ses études en cinéma à Genève, où il vit toujours, ce qui ne l’empêche pas de tourner en Suisse romande, en Suisse allemande et en Suisse italienne. Qu’il se retrouve à la barre d’un film tourné au Québec, où un Suisse (le Belge Jonathan Zaccaï) découvre les rapports conflictuels entre les communautés blanche et autochtone, n’a presque rien de surprenant.
«Ayant tourné des documentaires dans des conditions difficiles, comme au Liberia ou au Zimbabwe quand c’était fermé, j’ai une certaine capacité de pénétration dans les communautés lointaines, confie le réalisateur de passage à Montréal. Je ne veux pas mentir, j’ai bien senti qu’il y avait une méfiance entre les Blancs et les Amérindiens. Peut-être que le fait d’être Européens nous a aidés parce que nous ne partageons pas ce passé tragique. Je ne sais pas si la neutralité helvétique y est pour quelque chose, mais durant le tournage, nous avons pu créer des liens. L’expérience du film a été heureuse.»
Respect des traditions
Écrit avec Antoine Jaccoud (L’enfant d’en haut d’Ursula Meier), Miséricorde se penche sur les répercussions, au sein de la communauté de Lac-Simon, de la mort d’un adolescent autochtone happé par un camion. Alors qu’il s’apprêtait à regagner la Suisse, Thomas (Zaccaï), policier au passé trouble, rebrousse chemin et promet à la mère du jeune garçon (Marie-Hélène Bélanger) de retrouver le chauffard. Suivant la tradition autochtone, l’adolescent ne pourra être enterré que lorsque le chauffard demandera pardon. L’oncle du défunt (Marco Collin) viendra alors en aide au policier pour trouver le camionneur.
«En faisant des recherches, on a découvert que les autochtones avaient une incarnation assez belle du pardon. Lorsque quelqu’un leur demande pardon d’une manière sincère, ils n’ont pas le choix de le donner. C’est dans leur culture, mais c’est aussi une nécessité. Autrefois, pour un peuple nomade, il n’y avait pas de prison. Soit on excluait quelqu’un de la communauté, soit on lui pardonnait. Je trouve que c’est un aspect très positif de leur culture et c’est ce qu’on avait envie de dire avec Miséricorde », explique Fulvio Bernasconi.
«
Je n’aurais pas participé à un projet où cette rencontre entre Blancs et autochtones n’aurait pas été abordée avec respect et délicatesse Évelyne Brochu
Croisements culturels
Bien que son nom apparaisse tôt au générique, le personnage qu’incarne Évelyne Brochu n’arrive qu’à mi-chemin du récit. Fille d’une immigrante allemande (Marthe Keller), MaryAnn élève seule ses deux enfants. À l’instar de Thomas, c’est un être tourmenté. «Ce qui m’attirait beaucoup, c’est l’immense guerre intérieure que vit chaque personnage», affirme l’actrice, dont l’interprétation dans Inch’Allah d’Anaïs Barbeau-Lavalette lui a valu ce rôle.
À propos de la réalité dépeinte dans Miséricorde, Évelyne Brochu n’a que de bons mots à propos du cinéaste et du scénariste: « Le film est à l’image de Fulvio, doux, tendre, humble. Il a fait ce film avec grâce et délicatesse, comme ses films précédents où il traitait de thèmes durs. Ce n’est pas du tout le regard européen colonisateur sur la réalité autochtone, sur la pourvoirie, sur le camionnage. Antoine Jaccoud est capable de cibler des choses très fines. C’est un amateur du Québec, où il est venu plusieurs fois. Il est vraiment allé à la rencontre des réalités qu’il décrit. Je n’aurais pas participé à un projet où cette rencontre entre Blancs et autochtones n’aurait pas été abordée avec respect et délicatesse.»
Ayant choisi les paysages de l’Abitibi pour illustrer les conflits intérieurs du personnage central, Fulvio Bernasconi ne cache pas s’être inspiré du cinéma américain pour illustrer cette quête du pardon. «Ce paysage-là, qui est dur, rude et même blessé par ces énormes mines, semblait idéal pour tourner ce film-là. C’est clair que, pour un Européen qui tourne dans ces grands paysages, il y a une petite référence aux westerns. Personnellement, je trouve qu’il y a des liens thématiques et narratifs avec ce type de films; il y a un homme seul qui poursuit la justice, confronté à la nature, aux autres. Je dois avouer que j’ai regardé La prisonnière du désert de John Ford avec John Wayne.»
«Il y a aussi des références au road movie, mais ce n’est jamais maniéré, elles servent toujours la quête du personnage principal, qui chasse un coupable afin de chasser le coupable en lui. Ces grandes routes-là, ce sont aussi les routes pour aller vers soi et s’éloigner de soi. Et les prises de vue de ces routes illustrent la dureté de ce que les personnages vivent, de ce qui les habite », conclut Évelyne Brochu.