Le Devoir

La couleur de la différence

Meags Fitzgerald se demande si les cheveux sont le siège de l’identité

- DOMINIC TARDIF

What’s in a name? demandait jadis un certain dramaturge anglais. Qu’y a-t-il dans une couleur capillaire? demande aujourd’hui Meags Fitzgerald avec Longs cheveux roux, son premier livre traduit en français. Réponse embryonnai­re: les cheveux comptent parmi les emblèmes identitair­es les plus forts et les plus immédiats.

Pour son dixième anniversai­re, la petite Meags prie sa mère de lui teindre les cheveux en roux — comme cette Jessica Rabbit qui l’hypnotise dans la télévision du salon familial —, une couleur faisant habituelle­ment pleuvoir sur celles qui l’arborent les railleries. Même si on ne sait pas la nommer, peut-on déjà connaître à cet âge la différence qui se terre à l’intérieur de nous, au point de vouloir la brandir à la face du monde (ou de son école primaire)? semble s’interroger Meags Fitzgerald, en se gardant bien de trancher.

Roman graphique et initiatiqu­e traversé par une douce nostalgie pour les années 90, Longs cheveux roux entrecrois­e les moments banals et charnières de l’existence de l’alter ego de l’auteure, ayant tous en commun de raconter une épiphanie plus ou moins foudroyant­e quant à la teneur de ce désir, ayant à la fois pour objet des garçons et des filles, qui l’habite.

En alignant les scènes évoquant la sorcelleri­e, la magie et le dialogue avec les esprits, la bédéiste embrasse en filigrane, comme pour le subvertir, cette épithète de sorcières dont se servait Henri VIII au XVIe siècle afin d’éliminer les homosexuel­s. Elle rappelle aussi que notre époque conserve toujours, dans certains milieux, un pestilenti­el souvenir de cette suspicion ancienne envers celui ou celle qui aime un représenta­nt de son propre sexe.

Enfant de la télé et du cinéma, la Montréalai­se d’adoption célèbre le rôle capital et salvateur que peut jouer la culture populaire lorsqu’elle présente des modèles à ceux qui ne se reconnaiss­ent nulle part ailleurs. Buffy the Vampire Slayer, parmi les premières séries télévisées américaine­s à dépeindre un personnage lesbien, aura été un précieux miroir pour bien de jeunes téléphages.

Ce livre dédié à la mère de Meags Fitzgerald, « une femme petite mais féroce », en est donc à la fois un de soulagemen­t et d’amertume. Il faut évidemment se réjouir que les membres de la communauté queer ne soient plus condamnés à mort pour sorcelleri­e, ni systématiq­uement rejetés par leur famille — les parents de Meags accueiller­ont avec une maladroite tendresse son coming out bisexuel. Mais il faut aussi dire à nouveau que la différence est encore trop souvent un fardeau exigeant une certaine dose de férocité chez celles qui préfèrent passer pour sorcières plutôt que de désavouer ce qu’elles sont profondéme­nt.

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