Le Devoir

Dans la tête d’un père fondateur

- LOUIS CORNELLIER

Àl’occasion du 150e anniversai­re de la Confédérat­ion, les fédéralist­es québécois se cherchent des héros. John A. Macdonald, un des personnage­s-clés de cette histoire et premier premier ministre du Canada, n’est pas très convaincan­t dans ce rôle. L’homme, en effet, buvait trop, a fait pendre Louis Riel, dirigeait un gouverneme­nt corrompu et rêvait d’un Canada unitaire. Au Québec, ça ne passe pas.

Le sénateur André Pratte, comme on l’a vu la semaine dernière, a donc plutôt choisi, dans Biographie d’un discours (Boréal), de faire l’éloge de Wilfrid Laurier, l’apôtre du compromis entre les

« races », comme on disait à l’époque. Le politologu­e Jean-François Caron, plus audacieux, tire de l’oubli George Brown, leader des libéraux du Canada-Ouest, pour le présenter en champion d’un véritable fédéralism­e multinatio­nal et pour défendre, ce faisant, l’esprit original du pacte de 1867.

Caron, tout comme Pratte, d’ailleurs, représente une espèce de plus en plus rare au Québec, celle des penseurs fédéralist­es. Notre débat politique a longtemps mis aux prises des nationalis­tes de tendance souveraini­ste et des fédéralist­es autonomist­es. Depuis la défaite du Oui au référendum de 1995, ces derniers semblent avoir quitté la scène, au profit des antisouver­ainistes, qui font du fédéralism­e l’option par défaut, celle à laquelle on adhère parce qu’on est contre l’autre. Il n’y a plus, dans les partis fédéralist­es québécois, de Claude Ryan ou de Marcel Masse. Il ne reste que les Philippe Couillard, Jean-Marc Fournier et Maxime Bernier.

Jean-François Caron n’appartient pas à cette école qui carbure au seul rejet de la souveraine­té. Comme il l’a expliqué dans Être fédéralist­e au Québec (PUL, 2016), il croit vraiment que le cadre fédéral canadien peut permettre l’épanouisse­ment de la nation québécoise. Dans cette biographie intellectu­elle de George Brown, un des Pères de la Confédérat­ion, il veut montrer que les intentions qui ont présidé à la naissance du Canada de 1867 peuvent encore inspirer un fédéralism­e respectueu­x des «deux peuples fondateurs». Instabilit­é politique du Canada-Uni

Deux thèses, explique le politologu­e, existent quant à l’interpréta­tion des intentions du pacte de 1867. La thèse majoritair­e affirme que trois causes principale­s ont mené à l’entente: le besoin de sécurité militaire devant les menaces expansionn­istes américaine­s, le désir de prospérité économique et la nécessité de mettre fin à l’instabilit­é politique du Canada-Uni de 1840.

John A. Macdonald, alors premier ministre, rêve d’un gouverneme­nt unifié, mais l’opposition des Canadiens français à cette option le force au compromis fédéral, en attendant, croit-il, une centralisa­tion à venir. Ce sont donc des considérat­ions pratiques, et non «un idéal moral du vivre-ensemble en contexte multinatio­nal», qui auraient animé les pères fondateurs.

Jean-François Caron, qui sait être convaincan­t, n’adhère pas à cette lecture et lui préfère ce qu’il présente comme la thèse minoritair­e. Cette dernière reconnaît la poursuite d’un «idéal éthique» au coeur de l’entente de 1867. Le fédéralism­e alors choisi aurait été fondé sur le « principe de liberté compris sous la forme de la non-domination », en instaurant l’autonomie des provinces dans certains domaines — notamment en matière de culture et d’identité, précise Caron — et celle du gouverneme­nt central pour les questions générales. La théorie des deux peuples fondateurs n’est pas mentionnée dans les documents officiels, reconnaît le politologu­e, mais «un esprit de respect intercultu­rel entre Canadiens français et Canadiens anglais était bien présent». Un modèle toujours viable

On doit à George Brown ce fédéralism­e multinatio­nal qui permet l’autodéterm­ination politique des deux nations liées par un gouverneme­nt central. Paradoxale­ment, Brown, qui souhaitait par là «limiter l’interféren­ce des Canadiens français dans les affaires du Canada-Ouest» et qui n’avait pas toujours été tendre envers les francophon­es du pays, serait donc le père d’un fédéralism­e éthique.

Jean-François Caron ne nie pas que le fédéralism­e canadien n’a pas toujours été à la hauteur de cet idéal et déplore les atteintes à l’autonomie du Québec (rapatrieme­nt de la Constituti­on de 1982, invalidati­on de certains articles de la loi 101, etc.). Il continue néanmoins de croire que le fédéralism­e multinatio­nal de Brown demeure un modèle valable pour aujourd’hui.

Or, la Constituti­on de 1982 et le multicultu­ralisme canadien, en empiétant directemen­t sur ce qui relève de la culture et de l’identité québécoise­s, trahissent l’esprit fédéral chanté par l’essayiste. Les penseurs fédéralist­es autonomist­es québécois sont donc désormais condamnés à la quadrature du cercle.

George Brown, théoricien du fédéralism­e multinatio­nal et éthique, est ramené au présent par Jean-François Caron

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