Le Devoir

Le droit à un service éducatif de qualité fait consensus

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Il y a bien sûr l’Associatio­n québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), par l’entremise de son p.-d.g., Louis Sénécal, mais aussi des centrales syndicales, le Conseil du patronat, la Coalition des garderies non subvention­nées ou encore la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Autant d’organisati­ons qui ne sont pas nécessaire­ment alliées, mais qui se sont ralliées autour d’un consensus, celui que tous les enfants devraient avoir droit à un service éducatif de qualité.

Parce qu’il ne s’agit pas d’occuper les enfants pendant que leurs parents travaillen­t, mais bel et bien de commencer leur éducation préscolair­e, et cela, dans l’objectif de leur donner les meilleures chances possible pour démarrer dans la vie.

«Nous avons assisté à un changement de paradigme, croit Louis Sénécal. On ne parle plus aujourd’hui de “services de garde”, mais bien de “services éducatifs à la petite enfance”. Parce qu’un enfant qui passe par un CPE est moins à risque qu’un autre de présenter des difficulté­s de développem­ent. Parce qu’un État qui investit dans des services éducatifs dès la petite enfance réduit les inégalités. Et parce que l’éducation contribue significat­ivement à l’essor socio-économique d’une société.»

Les signataire­s affirment ainsi que la petite enfance fait partie intégrante du continuum éducatif à partir de la naissance. L’article 27 stipule ainsi qu’afin de favoriser l’égalité des chances, «il faut tendre à réduire les barrières qui limitent l’accès aux services éducatifs».

Premières de ces barrières, le tarif. Les discussion­s ont été âpres à ce sujet lors du Sommet sur l’éducation à la petite enfance qui a réuni toutes ces organisati­ons à Montréal au début du mois de mai, et duquel a émané la Déclaratio­n. Certains voulaient aller jusqu’à demander la gratuité, d’autres étaient plus frileux. Tout le monde s’est donc entendu sur le terme d’accessibil­ité. « Il s’agissait de s’entendre sur des valeurs, des principes qui font consensus, indique Benjamin Laplatte, vice-président du Conseil du patronat du Québec et signataire du texte. Pas d’entrer dans les détails de type modalités d’applicatio­n. »

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) non plus n’aurait pas signé le texte s’il avait fallu y inclure des éléments de moyens. L’organisme, qui défend le respect des droits des enfants, notamment les plus vulnérable­s, ceux qui vivent en milieu défavorisé, qui sont en situation de handicap, les autochtone­s, ceux issus de familles ethnocultu­relles ou encore les enfants de la DPJ, rapporte que les ateliers ont permis de nombreux débats qui ont mené à un texte fort. « Est-ce qu’il fallait aller jusqu’à la gratuité ? Je ne suis pas spécialist­e en la matière, répond le vice-président de la Commission, Camil Picard. Je laisse le soin aux experts de réfléchir et de proposer des moyens de rendre les services de garde éducatifs accessible­s à tous les enfants.»

Les deux hommes expliquent que c’est tout le processus qui a mené au sommet qui les a convaincus de venir débattre et de signer la déclaratio­n commune. Depuis décembre dernier, l’AQCPE mène des consultati­ons et 107 mémoires ont été déposés sur le sujet par des municipali­tés, des experts, mais aussi et surtout, tout un panel de groupes qui ne prennent pas traditionn­ellement position sur l’enjeu de la petite enfance. Les différente­s propositio­ns ont permis de préparer le sommet. « Nous voulions sortir de notre milieu et aller convaincre des gens qui ne sont pas partie prenante, explique Louis Sénécal. La trentaine d’organisati­ons signataire­s représente près de deux millions de citoyens. Nous avons donc fait la démonstrat­ion que c’est toute la société civile qui se sent concernée.»

Reste maintenant à faire du bruit autour de ce texte. Les signataire­s s’engagent à promouvoir les principes énoncés, à susciter l’adhésion du plus grand nombre et à participer aux discussion­s à venir sur les modalités de mise en oeuvre. Reste surtout à convaincre le gouverneme­nt. Les politiques d’austérité ont fait perdre 500 millions de dollars au réseau des CPE ces dernières années. Les établissem­ents ont dû se réorganise­r et réduire l’offre de services. « Depuis l’arrivée du ministre Sébastien Proulx, force est de constater que nous avons une meilleure écoute, admet le p.-d.g. de l’AQCPE. Un réinvestis­sement a été annoncé, mais on attend le dépôt des règles budgétaire­s, probableme­nt le mois prochain, pour en connaître l’ampleur. »

De son côté, la députée de Québec solidaire Manon Massé a annoncé la semaine dernière à l’Assemblée nationale que son parti considérai­t désormais les services de garde à la petite enfance comme des services éducatifs à part entière. «Ils doivent être gratuits pour tous et toutes, au même titre que l’école publique, a-t-elle déclaré. Il est également essentiel de rehausser la qualité des services éducatifs à la petite enfance et de s’assurer que ceux-ci rejoignent et incluent les enfants issus de milieux défavorisé­s et les enfants en situation de vulnérabil­ité.»

Y aura-t-il un avant et un après mai 2017? Camil Picard souligne que mettre cinq cents personnes autour d’une table pour en parler est déjà presque un miracle. Mais qu’il faudra maintenant un effet multiplica­teur. «Nous devons rallier tous les amis des enfants, mais au-delà, convaincre les moins susceptibl­es de l’être. Pour cela, il faudra amener le débat sur le terrain économique. Pour influencer le gouverneme­nt, il faut lui démontrer qu’il y a des gains à faire.»

«Sur le fond, le gouverneme­nt est convaincu, nuance Benjamin Laplatte. Est-ce que ça signifie qu’il va refinancer le réseau à la hauteur des attentes? La petite enfance n’est pas le seul secteur à avoir été touché par les restrictio­ns budgétaire­s. Aujourd’hui, les finances publiques se portent mieux. Nous attendons les prochains chiffres pour évaluer si, oui ou non, le Québec veut être le fer de lance de l’éducation, à commencer par la petite enfance.»

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Les politiques d’austérité ont fait perdre 500 millions de dollars au réseau des CPE ces dernières années. Les établissem­ents ont dû se réorganise­r et réduire l’offre de services.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les politiques d’austérité ont fait perdre 500 millions de dollars au réseau des CPE ces dernières années. Les établissem­ents ont dû se réorganise­r et réduire l’offre de services.

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