Mieux comprendre la citoyenneté culturelle
D epuis quelques années, dans le milieu de la culture, on souhaite mettre en avant le concept de citoyenneté culturelle. Et cela, dans le but de permettre aux citoyens de prendre des initiatives culturelles et d’ainsi participer à l’enrichir. À la fin mai, le 30e Colloque annuel de Les Arts et la Ville, qui se tiendra à Montmagny, traitera de la question. Voyons comment la mise en pratique de ce concept peut embellir et enrichir nos vies.
Définir la citoyenneté culturelle
D’abord, il faut expliquer ce qu’on entend par « citoyenneté culturelle ». Grâce à un mandat de l’organisme Culture Montréal, le professeur-chercheur Christian Poirier, de l’Institut national de recherche scientifique (INRS), a pu se pencher sur le sujet en 2012, et définir le terme. Selon lui, c’est l’appropriation par les individus des moyens de création, de production, de diffusion et de consommation culturelles. Cela fait en sorte que l’individu n’est plus considéré comme un simple spectateur et consommateur. Il devient à la fois créateur et diffuseur de culture.
Et le Québec compte plusieurs exemples de citoyenneté culturelle.
« Le spectacle La fabuleuse histoire d’un royaume, présenté chaque année au Saguenay, en est un très bon, assure Caroline Legault, doctorante en sociologie, coordonnatrice du Centre régional d’archives du Séminaire de Nicolet et spécialiste de la question. Cet événement regroupe chaque année 150 comédiens bénévoles qui s’impliquent pour raconter l’histoire de leur région. » Autre exemple à plus petite échelle :
Histoires de quartiers à Trois-Rivières. Il s’agissait d’un circuit pédestre historique où des citoyens de la ville racontaient le passé industriel des quartiers Sainte-Cécile et Saint-François, qui ont été très prospères dans les années 1980, avant la fermeture d’usines. « Cela se faisait à travers des témoignages et des anecdotes », affirme Mme Legault, qui déplore l’arrêt de ces visites, faute de fonds. En 2013, Histoires de quartiers a reçu le Prix d’histoire du Gouverneur général du Canada pour l’excellence de l’initiative communautaire.
Pour Caroline Legault, ce dernier exemple illustre bien comment peut s’exprimer concrètement et idéalement la citoyenneté culturelle. « Le citoyen devient un agent culturel à part entière et par son action, il favorise le développement durable, en plus d’encourager le développement local », relève-t-elle.
Ces deux exemples ne sont toutefois qu’un mince échantillon de ce qui se fait dans le domaine. Plusieurs autres initiatives culturelles ont émergé (et émergent encore) grâce à l’engagement citoyen au Québec. Et cela, dans tous les domaines culturels : musique, danse, arts du cirque, etc.
La petite histoire
Ces initiatives de citoyenneté culturelle remontent toutefois à une dizaine d’années au Québec. Mais le concept n’est pas nouveau. Il a germé dans la tête du sociologue britannique Raymond Williams au milieu du XXe siècle. Et ici, au Québec, il a évolué en différentes phases.
Selon Christian Poirier, il y a d’abord eu la culture savante qui remonte au Moyen Âge. Elle désignait un idéal vers lequel il fallait tendre et était plutôt associée à la classe dominante. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans les années 1940-1950, qu’est venue la démocratisation
de la culture. « On cherche alors à éliminer la hiérarchie qui existe entre la culture élitiste et la culture populaire, soutient Mme Legault. Le théâtre d’été est ainsi mis sur un même pied d’égalité que le théâtre de
Molière, par exemple. » Les Journées de la culture, qui existent depuis plusieurs années, sont un bon exemple d’effort de démocratisation de la culture et aussi de participation à celle-ci.
Plus récemment, depuis les années 2000, les institutions culturelles, les musées par exemple, ont voulu rejoindre les gens dans leur milieu et les fidéliser. C’est ce qu’on a appelé la médiation culturelle. Cela a pris plusieurs formes. Exemples : ateliers de création dirigés par un artiste en arts visuels, discussions, sorties culturelles, etc.
Maintenant, on parle de plus en plus de citoyenneté culturelle. C’est aussi le moyen que compte développer le Réseau des conseils régionaux de la culture du Québec pour interpeller davantage les jeunes, qui délaissent les institutions culturelles traditionnelles, comme les musées, les théâtres ou les salles de concert. L’étude de 2012 de Christian Poirier s’inscrivait dans cet esprit.
La culture comme enrichissement collectif
Pour l’architecte Pierre Thibault, président d’honneur du 30e Colloque annuel de Les Arts et la Ville, la culture est une dimension importante de la vie citoyenne. « Elle enrichit la vie, fait vivre des émotions par la musique, le théâ-
L’individu n’est plus considéré comme un simple spectateur et consommateur. Il devient à la fois créateur et diffuseur de culture.
tre, etc., et permet au citoyen d’être plus
qu’un simple consommateur », dit-il. Le citoyen fait ainsi un pas de plus vers l’enrichissement collectif de la culture lorsqu’il y participe, crée quelque chose et en devient un dif fuseur.
Coauteur avec François Cardinal du livre Si la beauté rendait heureux, Pierre Thibault croit aussi à la nécessité de créer de beaux lieux. Des lieux qui favorisent la rencontre de l’autre. Des lieux chaleureux où les gens ont le goût d’être, de flâner et d’échanger avec d’autres citoyens. À ce sujet, il donne en exemple le Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec. « En agrandissant le bâtiment, en le rapprochant de la Grande Allée et en y aménageant un lieu convivial, empreint de beauté, on a accru sa fréquentation et la beauté du lieu rayonne autour. Elle “contamine” positivement son environnement et nos vies », convient-il. Ce genre de lieu est aussi propice à attirer des amuseurs publics, des musiciens et d’autres artistes qui s’y donnent naturellement rendez-vous, car ils s’y sentent bien. En ce sens, la création de beaux ensembles architecturaux peut aider à développer la citoyenneté culturelle. « En Amérique du Nord, on néglige souvent le beau au
profit d’une politique du plus bas soumissionnaire », dit M. Thibault. Il serait peut-être temps de revoir cela afin de privilégier le beau, pour tous les avantages qu’il comporte.