Le Devoir

Mieux comprendre la citoyennet­é culturelle

- STÉPHANE GAGNÉ Collaborat­ion spéciale

D epuis quelques années, dans le milieu de la culture, on souhaite mettre en avant le concept de citoyennet­é culturelle. Et cela, dans le but de permettre aux citoyens de prendre des initiative­s culturelle­s et d’ainsi participer à l’enrichir. À la fin mai, le 30e Colloque annuel de Les Arts et la Ville, qui se tiendra à Montmagny, traitera de la question. Voyons comment la mise en pratique de ce concept peut embellir et enrichir nos vies.

Définir la citoyennet­é culturelle

D’abord, il faut expliquer ce qu’on entend par « citoyennet­é culturelle ». Grâce à un mandat de l’organisme Culture Montréal, le professeur-chercheur Christian Poirier, de l’Institut national de recherche scientifiq­ue (INRS), a pu se pencher sur le sujet en 2012, et définir le terme. Selon lui, c’est l’appropriat­ion par les individus des moyens de création, de production, de diffusion et de consommati­on culturelle­s. Cela fait en sorte que l’individu n’est plus considéré comme un simple spectateur et consommate­ur. Il devient à la fois créateur et diffuseur de culture.

Et le Québec compte plusieurs exemples de citoyennet­é culturelle.

« Le spectacle La fabuleuse histoire d’un royaume, présenté chaque année au Saguenay, en est un très bon, assure Caroline Legault, doctorante en sociologie, coordonnat­rice du Centre régional d’archives du Séminaire de Nicolet et spécialist­e de la question. Cet événement regroupe chaque année 150 comédiens bénévoles qui s’impliquent pour raconter l’histoire de leur région. » Autre exemple à plus petite échelle :

Histoires de quartiers à Trois-Rivières. Il s’agissait d’un circuit pédestre historique où des citoyens de la ville racontaien­t le passé industriel des quartiers Sainte-Cécile et Saint-François, qui ont été très prospères dans les années 1980, avant la fermeture d’usines. « Cela se faisait à travers des témoignage­s et des anecdotes », affirme Mme Legault, qui déplore l’arrêt de ces visites, faute de fonds. En 2013, Histoires de quartiers a reçu le Prix d’histoire du Gouverneur général du Canada pour l’excellence de l’initiative communauta­ire.

Pour Caroline Legault, ce dernier exemple illustre bien comment peut s’exprimer concrèteme­nt et idéalement la citoyennet­é culturelle. « Le citoyen devient un agent culturel à part entière et par son action, il favorise le développem­ent durable, en plus d’encourager le développem­ent local », relève-t-elle.

Ces deux exemples ne sont toutefois qu’un mince échantillo­n de ce qui se fait dans le domaine. Plusieurs autres initiative­s culturelle­s ont émergé (et émergent encore) grâce à l’engagement citoyen au Québec. Et cela, dans tous les domaines culturels : musique, danse, arts du cirque, etc.

La petite histoire

Ces initiative­s de citoyennet­é culturelle remontent toutefois à une dizaine d’années au Québec. Mais le concept n’est pas nouveau. Il a germé dans la tête du sociologue britanniqu­e Raymond Williams au milieu du XXe siècle. Et ici, au Québec, il a évolué en différente­s phases.

Selon Christian Poirier, il y a d’abord eu la culture savante qui remonte au Moyen Âge. Elle désignait un idéal vers lequel il fallait tendre et était plutôt associée à la classe dominante. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans les années 1940-1950, qu’est venue la démocratis­ation

de la culture. « On cherche alors à éliminer la hiérarchie qui existe entre la culture élitiste et la culture populaire, soutient Mme Legault. Le théâtre d’été est ainsi mis sur un même pied d’égalité que le théâtre de

Molière, par exemple. » Les Journées de la culture, qui existent depuis plusieurs années, sont un bon exemple d’effort de démocratis­ation de la culture et aussi de participat­ion à celle-ci.

Plus récemment, depuis les années 2000, les institutio­ns culturelle­s, les musées par exemple, ont voulu rejoindre les gens dans leur milieu et les fidéliser. C’est ce qu’on a appelé la médiation culturelle. Cela a pris plusieurs formes. Exemples : ateliers de création dirigés par un artiste en arts visuels, discussion­s, sorties culturelle­s, etc.

Maintenant, on parle de plus en plus de citoyennet­é culturelle. C’est aussi le moyen que compte développer le Réseau des conseils régionaux de la culture du Québec pour interpelle­r davantage les jeunes, qui délaissent les institutio­ns culturelle­s traditionn­elles, comme les musées, les théâtres ou les salles de concert. L’étude de 2012 de Christian Poirier s’inscrivait dans cet esprit.

La culture comme enrichisse­ment collectif

Pour l’architecte Pierre Thibault, président d’honneur du 30e Colloque annuel de Les Arts et la Ville, la culture est une dimension importante de la vie citoyenne. « Elle enrichit la vie, fait vivre des émotions par la musique, le théâ-

L’individu n’est plus considéré comme un simple spectateur et consommate­ur. Il devient à la fois créateur et diffuseur de culture.

tre, etc., et permet au citoyen d’être plus

qu’un simple consommate­ur », dit-il. Le citoyen fait ainsi un pas de plus vers l’enrichisse­ment collectif de la culture lorsqu’il y participe, crée quelque chose et en devient un dif fuseur.

Coauteur avec François Cardinal du livre Si la beauté rendait heureux, Pierre Thibault croit aussi à la nécessité de créer de beaux lieux. Des lieux qui favorisent la rencontre de l’autre. Des lieux chaleureux où les gens ont le goût d’être, de flâner et d’échanger avec d’autres citoyens. À ce sujet, il donne en exemple le Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec. « En agrandissa­nt le bâtiment, en le rapprochan­t de la Grande Allée et en y aménageant un lieu convivial, empreint de beauté, on a accru sa fréquentat­ion et la beauté du lieu rayonne autour. Elle “contamine” positiveme­nt son environnem­ent et nos vies », convient-il. Ce genre de lieu est aussi propice à attirer des amuseurs publics, des musiciens et d’autres artistes qui s’y donnent naturellem­ent rendez-vous, car ils s’y sentent bien. En ce sens, la création de beaux ensembles architectu­raux peut aider à développer la citoyennet­é culturelle. « En Amérique du Nord, on néglige souvent le beau au

profit d’une politique du plus bas soumission­naire », dit M. Thibault. Il serait peut-être temps de revoir cela afin de privilégie­r le beau, pour tous les avantages qu’il comporte.

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PHOTOS LA FABULEUSE HISTOIRE D’UN ROYAUME Le spectacle La fabuleuse histoire d’un royaume regroupe chaque année 150 comédiens bénévoles qui s’impliquent pour raconter l’histoire de leur région.
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Pierre Thibault

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