Écrire la Chine depuis Montréal
L’auteur a découvert ici un esprit « plus socialiste » que dans son pays d’origine
L’écrivain Xue Yiwei est peut-être l’un des secrets les mieux gardés de Montréal. Très lu en Chine, l’auteur d’origine chinoise acclamé par la critique a adopté la métropole il y a une quinzaine d’années. Le Devoir l’a rencontré, curieux d’échanger avec celui qui a choisi sa ville d’adoption entre autres pour la vitalité de sa culture francophone.
Lorsqu’il était jeune, comme tous les petits Chinois, Xue Yiwei a dû apprendre par coeur le long éloge que Mao Tsé-toung avait écrit à la mort du médecin canadien Norman Bethune. Aujourd’hui devenu écrivain, et vivant à Montréal, il peut encore en réciter des extraits de
mémoire. « Il parlait de “sa dévotion complète aux autres, sans aucune préoccupation pour soimême”», se souvient-il.
Aujourd’hui, Xue Yiwei est un auteur très connu en Chine. Il a publié un livre qui s’intitule Les enfants du Dr Bethune. Interdit sur le territoire chinois, ce livre sera traduit en anglais à l’automne aux éditions Linda Leith. « Le livre est banni en Chine parce qu’il parle du massacre de la place Tiananmen et de la Révolution. Ce sont des sujets qui sont complètement tabous en Chine.»
L’histoire est celle d’un homme qui écrit des lettres au Dr Bethune après la mort de ce dernier. L’un des personnages a perdu sa femme lors du massacre de la place Tiananmen, en 1989. Il déménage alors à Montréal, où survient le massacre des étudiantes de Polytechnique. « L’histoire est quelque chose d’étrange, dit Xue Yiwei. Pour moi, les victimes de la Polytechnique sont aussi les enfants du Dr Bethune.»
Bethune demeure quant à lui l’objet d’une véritable vénération en Chine. «Deux amis canadiens m’ont dit qu’ils ont un jour pris un taxi en Chine. Le chauffeur leur a demandé: “Vous êtes canadiens? Vous venez du pays de Norman Bethune?”. Alors, il leur a offert la course gratuitement! Pour les Chinois, le Canada est synonyme du Dr Bethune », raconte Xue Yiwei.
L’écrivain a souvent dit qu’il avait choisi de vivre à Montréal parce que c’était la ville où Norman Bethune avait pratiqué avant d’aller vivre en Chine, où il est mort. On dit d’ailleurs que Norman Bethune a préparé le terrain pour l’avènement de l’assurance maladie ici.
De l’immortalité de l’écrivain
Aujourd’hui, Xue Yiwei ajoute qu’il a aussi choisi Montréal pour la culture francophone. «J’ai su que je voulais devenir écrivain après avoir vu les funérailles de Jean-Paul Sartre à Paris en 1980. À l’époque en Chine, on venait seulement d’avoir la télévision, tandis que vous en aviez déjà toutes sortes de modèles. C’était sur une petite télévision en noir et blanc de 12 pouces. Il y avait des gens de tous les pays qui assistaient à ces funérailles. Et j’ai eu alors le sentiment de l’immortalité de l’écrivain. Et en écrivant, j’ai ensuite été motivé par cette sensation d’immortalité.»
En 1980, les livres de Sartre venaient tout juste de faire leur apparition en Chine. « Moi, le premier livre que j’ai lu, c’est le manifeste communiste. C’était un peu comme notre Harry Potter, cela parlait du spectre du communisme qui hantait l’Europe, dit-il en blaguant. Durant la Révolution culturelle, il n’y avait pas de livres en Chine, seulement le livre rouge de Mao et quelques livres de mentors européens, comme Marx ou Engels.»
Aujourd’hui, il dit que le Canada est désormais un pays « plus socialiste » que la Chine. «Quand j’étais jeune, pendant la Révolution culturelle, raconte-t-il en anglais, le mot “soi” [self en anglais] n’était pas utilisé en Chine. Lorsque j’ai consulté un dictionnaire anglais, je voyais qu’il y avait quatre pages d’expressions autour de ce mot. Je me disais: comme la langue anglaise est égoïste! Aujourd’hui, le mot “soi” est utilisé sur tous les tons en Chine, on parle de la réalisation de soi, de la satisfaction de soi. Pour moi, cela montre à quel point les choses ont changé.»
Pas un immigrant ordinaire
Xue Yiwei est ouvertement nostalgique de la Chine d’autrefois. « Aujourd’hui, partout, il y a des grandes marques. Et tout le monde pense à gagner de l’argent rapidement. »
Un autre livre de Xue Yiwei, qui a été traduit en anglais sous le titre Shenzenhers, devrait paraître en français au cours de la prochaine année aux éditions du Marchand de feuilles.
Ce sont des nouvelles qui se déroulent à Shenzhen, cette ville qui a servi de laboratoire du capitalisme en Chine. «On appelait cela une zone économique spéciale. Aujourd’hui, c’est toute la Chine qui est une zone économique spéciale », dit-il.
À Montréal, Xue Yiwei n’a pas vécu de choc culturel particulier. «Je ne suis pas un immigrant ordinaire, dit-il. En arrivant, alors que la plupart des immigrants cherchent du travail, je suis allé emprunter un livre d’Apollinaire à la bibliothèque et je me suis inscrit en littérature à l’Université de Montréal. »
Quant à Norman Bethune, il a croisé une murale le représentant rue Henri-Julien, mais il constate que plusieurs Montréalais ne connaissent pas son existence. « Pour nous, Norman Bethune, c’est un héros chinois », dit-il.