Le Devoir

Des Juifs bolcheviqu­es aux gauchistes islamistes

- MICHEL SEYMOUR Professeur au Départemen­t de philosophi­e de l’Université de Montréal

Le Devoir a fait paraître lundi 29 mai un texte d’André Lamoureux, «politologu­e» à l’UQAM, sous le titre «Québec solidaire enclave du gauchisme et allié de l’islamisme». L’article est rempli de slogans agressifs dirigés contre certaines personnes. Le discours est à ce point inconvenan­t que j’ai hésité à le commenter. Le texte contient tellement de propos islamophob­es que l’on comprend pourquoi l’auteur ne voit pas d’islamophob­ie du tout. C’est qu’elle est partout présente dans son article et banalisée comme si c’était une réaction normale face à une invasion inventée de toutes pièces.

Les islamistes nous envahissen­t !

Les réactions de certains ne doivent pas être confondues avec de l’islamophob­ie car, voyez-vous, le danger serait bel et bien «réel». Nous serions menacés par les salafistes et wahhabites qui cherchent à envahir notre société. Le propos de Lamoureux s’ajoute donc à ceux de Djemila Benhabib (l’islam politique est à nos portes), Bernard Drainville (c’est la charte ou la victoire des intégriste­s), Poste de veille (la charia est en train de s’implanter chez nous), Fatima Houda-Pepin (les mosquées sont des lieux de radicalisa­tion salafiste) et Christian Rioux (nous vivons le choc des civilisati­ons).

Cette paranoïa xénophobe, une fois engagée, ne peut être stoppée sur sa lancée. Le complot rôde partout et, quand l’auteur ne se laisse pas aller à de l’élucubrati­on paranoïaqu­e, il se livre à de l’invective ad hominem. À la racine du problème: le multicultu­ralisme et bien entendu QS qui est, comme chacun sait, infiltré par des agents de l’Arabie saoudite.

Des coups de gueule inutiles

Il faut certes distinguer la charte des valeurs du PQ (catholaïqu­e), le discours de certaines personnes qui tiennent des propos islamophob­es pour la défendre, et les réactions carrément racistes qui surgissent dans les tribunes téléphoniq­ues, sur les réseaux sociaux ainsi que dans la rue. On passe alors du repli identitair­e à la peur, puis à la haine. J’ai proposé de faire ces distinctio­ns dans trois articles du Huf fington Post («Chronique d’une dérive annoncée: Catholicit­é, islamophob­ie et racisme» I, II, III). Ces nuances sont étouffées par les coups de gueule et les phrases assassines dont son texte est truffé. Le ton monte au point d’effacer toutes les distinctio­ns et d’écraser les voix minoritair­es discordant­es. L’important est de parler plus fort.

Des nuances sont pourtant possibles

On peut être favorable à une charte de la laïcité, vouloir même qu’elle soit constituti­onnalisée avec nos autres chartes, et être favorable à la souveraine­té du Québec. Mais cette charte doit être inclusive et elle doit permettre les signes religieux chez les employés de l’État. Nos enjeux identitair­es sont réels et ne doivent pas être éludés, mais ils doivent être pris en charge par des principes constituti­onnels raisonnabl­es exprimant un nationalis­me civique et non un nationalis­me conservate­ur. La souveraine­té doit nous ouvrir sur le monde et non être fondée sur un repli identitair­e qui s’appuie sur la France et se sert de ce pays comme seul modèle. On peut être favorable à la mise sur pied d’un observatoi­re sur la radicalisa­tion, mais cet observatoi­re doit en même temps se pencher sur le racisme systémique qui est présent chez des employeurs, des corps policiers, des médias, des corporatio­ns profession­nelles et des citoyens. On peut être favorable à une commission sur les accommodem­ents au service des citoyens, mais cette commission doit instruire la population et non relayer les préjugés. On peut critiquer le multicultu­ralisme, mais il faut défendre l’intercultu­ralisme, (i) conçu comme impliquant une reconnaiss­ance réciproque entre le peuple et les minorités historique­s ou issues de l’immigratio­n, (ii) comme impliquant une obligation d’intégratio­n assumée par les citoyens et prise en charge par l’État et (iii) comme impliquant une entente sur des règles du vivre ensemble constituti­onnalisées.

Le texte d’André Lamoureux ne contribue pas à faire avancer le débat. Il ne fait que reconduire les erreurs initiales qui sont à l’origine du glissement national populiste dans lequel s’est laissé entraîner le PQ. Il fut un temps où l’on s’en prenait aux «Juifs bolcheviqu­es». Nous voilà maintenant face à des discours visant les «gauchistes islamistes».

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