Le Devoir

La Constituan­te : un devoir de clarté

- CLAUDETTE CARBONNEAU JASON BROCHU-VALCOURT Présidente et vice-président des Organisati­ons unies pour l’indépendan­ce (OUI Québec)

Nous avons lu avec intérêt la lettre publiée dans Le Devoir du 26 mai dernier, sur les avantages d’une Assemblée constituan­te ouverte, c’est-à-dire sans mandat prédéfini quant au type de pays recherché. Nous ne partageons pas ce choix, mais nous reconnaiss­ons à l’auteur le mérite de contribuer au débat d’idées. L’auteur fait des constats très justes. Il invite à prendre en compte les leçons du passé et à s’inscrire dans une réflexion stratégiqu­e et pédagogiqu­e. Il constate que les fédéralist­es ne sont pas monolithiq­ues et que plusieurs aspirent à une constituti­on renouvelée. Il cherche à laisser la plus grande marge de manoeuvre possible à l’Assemblée constituan­te. Autant de préoccupat­ions qui nous animent aussi.

Les OUI Québec ne sont pas des nouveaux venus dans ce débat qui mise sur une Constituan­te pour donner plus de substance au projet de pays et pour faire sortir le Québec de l’impasse dans laquelle il est enfermé. Depuis longtemps, nous appelons à ce changement de paradigme. Nous avons tenu des États généraux sur la question, publié notre réflexion dans Forger notre avenir. Surtout, nous avons eu l’audace de proposer aux partis politiques indépendan­tistes d’entamer des travaux pour nous entendre sur une voie commune d’accès à l’indépendan­ce.

La marche était haute. Nous avons pris cette responsabi­lité au sérieux. Nous avons lu, réfléchi, discuté et réuni les meilleurs experts. La période de refroidiss­ement à laquelle nous avons appelé ne doit pas avoir pour effet de placer la réflexion au congélateu­r! Le débat public qui s’ouvre maintenant sur le fond des choses est salutaire et nous comptons y contribuer activement.

Pour aller vers l’indépendan­ce, il faudra additionne­r les appuis. En ce sens, intéresser des fédéralist­es et ouvrir le débat avec eux présentent un intérêt stratégiqu­e et démocratiq­ue certain. Cette question était d’ailleurs une réelle préoccupat­ion des OUI Québec lors des travaux menés avec nos partenaire­s du Parti québécois, de Québec solidaire, d’Option nationale et du Bloc québécois.

Malgré l’importance que nous accordons à ces préoccupat­ions stratégiqu­es, nous devons éviter deux dérives. D’une part, mettre à risque le projet d’indépendan­ce et diviser davantage les indépendan­tistes. D’autre part, décevoir les fédéralist­es qui ont des attentes face à un Canada renouvelé, en leur proposant une voie de changement de la Constituti­on canadienne qui ne tient pas la route. […]

S’inspirant de la pensée républicai­ne, la Constituan­te est étrangère au système de droit canadien. Voilà qui donne au gouverneme­nt canadien et à sa Cour suprême des poignées importante­s dont nous devons être conscients. Le Canada est un État de droit. Que cela nous plaise ou pas, nous en faisons partie, et il ne nous fera pas de cadeau. La Cour suprême a déjà statué que la Constituti­on canadienne s’appliquait au Québec malgré le refus unanime de l’Assemblée nationale. Le gouverneme­nt fédéral n’est pas du genre à regarder passer le train.

Ces considérat­ions nous amènent non pas à baisser les bras, mais à militer pour une Constituan­te avec le mandat de rédiger la constituti­on d’un Québec pays. Faute d’un mandat clair, nous nous fragilison­s dangereuse­ment dans la lutte féroce de légitimité qui va s’ouvrir au Canada. […]

Toute ambiguïté sur l’objectif recherché permettrai­t au Canada de prétendre que les travaux de la Constituan­te ne peuvent déboucher que sur une constituti­on interne d’un Québec province, ou encore sur de vagues demandes de modificati­ons à la Constituti­on canadienne. Bref, un vrai désastre quant à l’objectif recherché et un bourbier juridique sans nom! Il y a des limites à donner toute la place à des considérat­ions stratégiqu­es, au détriment d’un résultat souhaité. Rater notre indépendan­ce en voulant trop la gagner est la pire des solutions!

En bons démocrates, nos compatriot­es fédéralist­es sont invités à participer à la Constituan­te soutenue par l’électorat, de même qu’au référendum qui clôturera la démarche. Nous les invitons à s’inscrire à la consultati­on publique qu’organisera­it la Constituan­te sur les principes directeurs du nouvel État, sur ses institutio­ns politiques, et sur la répartitio­n des pouvoirs avec les régions. Il y a là à boire et à manger pour faire la pédagogie de l’indépendan­ce. Laisser croire aux fédéralist­es qu’une Constituan­te est une voie praticable pour modifier la Constituti­on canadienne est un leurre auquel nous nous refusons.

Pour conquérir notre indépendan­ce, il est incontourn­able d’opérer une rupture avec l’ordre constituti­onnel canadien. Voilà qui oblige à dissiper l’ambiguïté. Le Canada se battra bec et ongles. Meech, le référendum volé, la Commission Gomery... Cela vous rappelle des choses ? L’activisme juridique du fédéral pour faire invalider la loi 99, qui nous définit comme peuple pouvant exercer son droit à l’autodéterm­ination, donne la mesure de la volonté d’obstructio­n dont il est capable. On ne peut pas se comporter comme si nous menions cette bataille comme un débat feutré, se passant strictemen­t entre nous.

Nos propositio­ns doivent être conséquent­es. Nous devons soutenir l’espoir en ouvrant un réel espace d’émancipati­on. C’est ce à quoi les OUI Québec s’emploient.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le fameux « love-in » des Canadiens pour le Québec en octobre 1995. Selon les auteurs, il faut prévoir que le Canada se battra bec et ongles pour empêcher le Québec de conquérir son indépendan­ce.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le fameux « love-in » des Canadiens pour le Québec en octobre 1995. Selon les auteurs, il faut prévoir que le Canada se battra bec et ongles pour empêcher le Québec de conquérir son indépendan­ce.

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