La Constituante : un devoir de clarté
Nous avons lu avec intérêt la lettre publiée dans Le Devoir du 26 mai dernier, sur les avantages d’une Assemblée constituante ouverte, c’est-à-dire sans mandat prédéfini quant au type de pays recherché. Nous ne partageons pas ce choix, mais nous reconnaissons à l’auteur le mérite de contribuer au débat d’idées. L’auteur fait des constats très justes. Il invite à prendre en compte les leçons du passé et à s’inscrire dans une réflexion stratégique et pédagogique. Il constate que les fédéralistes ne sont pas monolithiques et que plusieurs aspirent à une constitution renouvelée. Il cherche à laisser la plus grande marge de manoeuvre possible à l’Assemblée constituante. Autant de préoccupations qui nous animent aussi.
Les OUI Québec ne sont pas des nouveaux venus dans ce débat qui mise sur une Constituante pour donner plus de substance au projet de pays et pour faire sortir le Québec de l’impasse dans laquelle il est enfermé. Depuis longtemps, nous appelons à ce changement de paradigme. Nous avons tenu des États généraux sur la question, publié notre réflexion dans Forger notre avenir. Surtout, nous avons eu l’audace de proposer aux partis politiques indépendantistes d’entamer des travaux pour nous entendre sur une voie commune d’accès à l’indépendance.
La marche était haute. Nous avons pris cette responsabilité au sérieux. Nous avons lu, réfléchi, discuté et réuni les meilleurs experts. La période de refroidissement à laquelle nous avons appelé ne doit pas avoir pour effet de placer la réflexion au congélateur! Le débat public qui s’ouvre maintenant sur le fond des choses est salutaire et nous comptons y contribuer activement.
Pour aller vers l’indépendance, il faudra additionner les appuis. En ce sens, intéresser des fédéralistes et ouvrir le débat avec eux présentent un intérêt stratégique et démocratique certain. Cette question était d’ailleurs une réelle préoccupation des OUI Québec lors des travaux menés avec nos partenaires du Parti québécois, de Québec solidaire, d’Option nationale et du Bloc québécois.
Malgré l’importance que nous accordons à ces préoccupations stratégiques, nous devons éviter deux dérives. D’une part, mettre à risque le projet d’indépendance et diviser davantage les indépendantistes. D’autre part, décevoir les fédéralistes qui ont des attentes face à un Canada renouvelé, en leur proposant une voie de changement de la Constitution canadienne qui ne tient pas la route. […]
S’inspirant de la pensée républicaine, la Constituante est étrangère au système de droit canadien. Voilà qui donne au gouvernement canadien et à sa Cour suprême des poignées importantes dont nous devons être conscients. Le Canada est un État de droit. Que cela nous plaise ou pas, nous en faisons partie, et il ne nous fera pas de cadeau. La Cour suprême a déjà statué que la Constitution canadienne s’appliquait au Québec malgré le refus unanime de l’Assemblée nationale. Le gouvernement fédéral n’est pas du genre à regarder passer le train.
Ces considérations nous amènent non pas à baisser les bras, mais à militer pour une Constituante avec le mandat de rédiger la constitution d’un Québec pays. Faute d’un mandat clair, nous nous fragilisons dangereusement dans la lutte féroce de légitimité qui va s’ouvrir au Canada. […]
Toute ambiguïté sur l’objectif recherché permettrait au Canada de prétendre que les travaux de la Constituante ne peuvent déboucher que sur une constitution interne d’un Québec province, ou encore sur de vagues demandes de modifications à la Constitution canadienne. Bref, un vrai désastre quant à l’objectif recherché et un bourbier juridique sans nom! Il y a des limites à donner toute la place à des considérations stratégiques, au détriment d’un résultat souhaité. Rater notre indépendance en voulant trop la gagner est la pire des solutions!
En bons démocrates, nos compatriotes fédéralistes sont invités à participer à la Constituante soutenue par l’électorat, de même qu’au référendum qui clôturera la démarche. Nous les invitons à s’inscrire à la consultation publique qu’organiserait la Constituante sur les principes directeurs du nouvel État, sur ses institutions politiques, et sur la répartition des pouvoirs avec les régions. Il y a là à boire et à manger pour faire la pédagogie de l’indépendance. Laisser croire aux fédéralistes qu’une Constituante est une voie praticable pour modifier la Constitution canadienne est un leurre auquel nous nous refusons.
Pour conquérir notre indépendance, il est incontournable d’opérer une rupture avec l’ordre constitutionnel canadien. Voilà qui oblige à dissiper l’ambiguïté. Le Canada se battra bec et ongles. Meech, le référendum volé, la Commission Gomery... Cela vous rappelle des choses ? L’activisme juridique du fédéral pour faire invalider la loi 99, qui nous définit comme peuple pouvant exercer son droit à l’autodétermination, donne la mesure de la volonté d’obstruction dont il est capable. On ne peut pas se comporter comme si nous menions cette bataille comme un débat feutré, se passant strictement entre nous.
Nos propositions doivent être conséquentes. Nous devons soutenir l’espoir en ouvrant un réel espace d’émancipation. C’est ce à quoi les OUI Québec s’emploient.