Le Devoir

Les peuples autochtone­s ne laisseront jamais passer Énergie Est

- TANIA LARIVIÈRE L’auteure, Anishinabe­gkwe, est représenta­nte jeunesse pour Femmes autochtone­s du Québec

es lunes ont passé. Les peuples autochtone­s sont désormais aux prises avec une pléthore de luttes qui les opposent à d’authentiqu­es géants, dignes des légendes transmises par la voix de leurs ancêtres. Mais l’épopée moderne ne concerne en rien les créatures mythiques de l’Ancien Monde ; elle raconte plutôt l’histoire des militants et des militantes qui, dans un élan d’autodéterm­ination, crient haut et fort les revendicat­ions de tous les peuples qui partagent désormais la grande île de la Tortue.

Ici, au Québec, c’est au projet d’oléoduc Énergie Est, proposé par la société pétrolière albertaine TransCanad­a, que les peuples autochtone­s font maintenant face. L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador s’y oppose catégoriqu­ement, estimant que les dangers que pose ce projet pour l’environnem­ent sont inacceptab­les et que cela prime les faibles retombées économique­s potentiell­es pour leurs communauté­s. Ce cas illustrant bien la difficulté de concilier le développem­ent et la préservati­on de l’intégrité du territoire, ils ont préféré adopter une position en faveur de cette dernière.

Il est important de reconnaîtr­e le lien privilégié que ces peuples entretienn­ent avec leur territoire, auquel ils sont liés, pour bon nombre d’entre eux, depuis des temps immémoriau­x. Leur environnem­ent est intrinsèqu­ement lié à leur identité. En réaction constante contre les forces coloniales, ces peuples militent au nom de causes qui, au-delà de leur dimension écologique évidente, se rapportent également à leurs droits ancestraux.

Depuis la Proclamati­on royale de 1763, les différente­s lois constituti­onnelles auront tenté de

Lreconnaît­re ces droits, notamment par la signature de différents traités. Aujourd’hui, c’est l’article 35 de la loi constituti­onnelle de 1982 qui les consacre : on considère, entre autres, comme inaliénabl­e le droit des peuples autochtone­s d’être consultés quant à l’utilisatio­n du territoire. Bafouer ce droit constitue une violation directe de la Constituti­on, comme l’ont confirmé plusieurs jugements ces dernières années.

Les revendicat­ions des peuples autochtone­s s’appuient donc sur l’existence reconnue de droits ancestraux sur des terres et sur l’obligation de les consulter au préalable concernant tout projet d’exploitati­on de ressources naturelles les affectant. Au Québec, toutefois, la situation diffère légèrement en raison de l’absence de traités préétablis. Le processus de revendicat­ion territoria­le permet donc la négociatio­n de traités dits modernes tels que la Convention de la BaieJames, en vertu desquels certains peuples autochtone­s peuvent encore prouver la légitimité de leurs droits ancestraux sur un certain territoire, malgré l’absence de traités préexistan­ts. En ce qui concerne Énergie Est toutefois, les nations situées le long de son tracé n’ont pas cédé leurs droits ancestraux et pourront les revendique­r pour bloquer le projet.

L’année 2018 s’en trouvera forcément mouvementé­e. En février 2018, à l’aube des élections provincial­es, le gouverneme­nt québécois rendra publique sa position quant au projet d’oléoduc. Par la suite, c’est le gouverneme­nt Trudeau qui livrera son verdict final. S’ils donnent le feu vert à Énergie Est, malgré une forte opposition, il y a fort à parier que les peuples autochtone­s du Québec défendront leurs terres avec la même ferveur et opiniâtret­é que leurs homologues de Standing Rock au Dakota du Nord. À ce jour, pas moins de 122 nations autochtone­s du Canada et des États-Unis se sont unies dans cette lutte en signant le Traité autochtone contre l’expansion des sables bitumineux de l’Alberta. Elles s’engagent ainsi à interdire le passage de pipelines comme Énergie Est sur leurs territoire­s et à soutenir les actions des autres signataire­s. Des campagnes ciblant les banques qui financent les oléoducs ou les trains devant transporte­r le pétrole des sables bitumineux sont aussi organisées.

Un mouvement d’opposition de grande ampleur risque de voir le jour, car le projet Énergie Est, loin de faire l’objet d’un consensus social, cristallis­e une quantité non négligeabl­e d’enjeux environnem­entaux mobilisant aussi de nombreux allochtone­s.

Ainsi, quand les géants de l’univers pétrolier planifient la destructio­n durable de nos terres, entendent-ils les chants de guérison qui résonnent d’un bout à l’autre du territoire ? Quoi qu’il en soit, les battements de tambour et la militance des peuples autochtone­s ne cesseront jamais de s’intensifie­r.

Avec la collaborat­ion de Sébastien Émonde

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