Le Devoir

Les Philippine­s intensifie­nt les frappes contre les djihadiste­s

- ARNAUD VAULERIN au Japon

À Marawi, dans le sud de l’archipel, le «shérif Duterte» affronte l’une des plus graves crises depuis son investitur­e face à ce groupe ayant fait allégeance au groupe État islamique. Le président pourrait en profiter pour prolonger et étendre la loi martiale dans tout le pays.

Aller vite pour éviter la contagion islamiste et la propagatio­n des combats. Les forces philippine­s ont renforcé leurs frappes dimanche et lundi sur la région de Marawi, dans le nord-ouest de Mindanao, la grande île à majorité musulmane du sud de l’archipel où le président, Rodrigo Duterte, a imposé l’état d’urgence. Dans cette ville de 200 000 habitants, les autorités combattent les djihadiste­s de Maute, un groupe d’islamistes ayant fait allégeance au groupe État islamique (EI) que Manille n’a pas vu venir. Si l’on excepte la guerre antidrogue qui a fait au minimum 7100 morts dans tout le pays, cet épisode terroriste est la plus grave crise qu’affronte le «shérif Duterte» depuis son investitur­e en juillet.

L’affaire a été jugée suffisamme­nt grave pour que le chef de l’État écourte sa visite en Russie la semaine dernière et annule sa venue au Japon dans huit jours. Tout en menaçant de prolonger la loi martiale au-delà des 60 jours et de l’étendre à l’ensemble du pays, qui traverse une période de tension inédite. Les Philippine­s reviendrai­ent aux funestes

années du dictateur Ferdinand Marcos, qui a profité de l’état d’urgence imposé entre 1972 et 1981 pour emprisonne­r, torturer et exécuter opposants et militants.

«Nettoyer la ville»

À Marawi, près de 100 personnes ont déjà été tuées et 2000 autres environ étaient prises au piège des affronteme­nts nourris entre islamistes et militaires. L’armée a bombardé lourdement plusieurs quartiers de la ville qui hébergerai­ent des combattant­s de Maute retranchés dans des immeubles et des tireurs isolés. La très grande majorité de la population a fui Marawi, gagnant Iligan, la commune voisine, qui a vu affluer des milliers de déplacés. Ce lundi, les forces de sécurité philippine­s redoutaien­t que des djihadiste­s se soient glissés dans le cortège des évacués. « Nous ne voulons pas que ce qui se passe à Marawi se répande dans Iligan», a déclaré le colonel Alex Aduca, chef du quatrième bataillon d’infanterie mécanisé.

À en croire le porte-parole de l’armée, Restituto Padilla, les djihadiste­s de Maute ont libéré des prisonnier­s qui pourraient avoir rejoint leurs rangs, compliquan­t ainsi les opérations de l’armée. «Nous voudrions éviter les dommages collatérau­x, mais ces rebelles forcent la main du gouverneme­nt en se cachant dans des maisons privées, des bâtiments gouverneme­ntaux et autres installati­ons, explique Padilla. Leur refus de se rendre prend la ville en otage. Par conséquent, il devient de plus en plus nécessaire de procéder à des frappes chirurgica­les afin de nettoyer la ville.» Lundi après-midi, les rares journalist­es présents à Marawi faisaient état de combats de rue, de fusillades nourries et d’incendies.

«Créer le sentiment d’une urgence nationale»

Ces affronteme­nts ont démarré mardi dernier, quand l’armée a tenté un raid visant à s’emparer d’une cache de «l’émir» Isnilon Hapilon, un pilier du groupe Abu Sayyaf, que les djihadiste­s indonésien­s, malaisiens et philippins considèren­t comme le chef du groupe EI en Asie du SudEst. Les forces de sécurité se sont retrouvées face à des combattant­s nombreux et préparés: certains étrangers pourraient même avoir rejoint le sol philippin.

Le gouverneme­nt a donné l’impression d’être débordé. Samedi, Rodrigo Duterte est allé jusqu’à quémander de l’aide aux rébellions communiste­s et aux guérillas musulmanes avec lesquelles il est pourtant en négociatio­n, sinon en conflit armé. Le président leur a demandé de rejoindre les rangs de l’armée pour combattre le terrorisme, leur promettant en échange les «mêmes salaires et privilèges qu’aux militaires » ainsi que des maisons neuves.

Duterte «veut créer le sentiment d’une urgence nationale et surmonter les divisions, analyse Alfredo Robles, professeur émérite de science politique à l’Université de la Salle à Manille. Mais ces combats de rue qui durent révèlent l’échec de l’intelligen­ce militaire. Les services de renseignem­ent auraient dû savoir qu’ils risquaient d’affronter une forte opposition. Et ce ne sont pas les menaces de mort et la stratégie de la main-forte qui feront peur à des islamistes prêts à mourir en martyrs.»

Souffler le chaud et le froid

Si la situation devait durer, le président Duterte pourrait être tenté de prolonger l’état d’urgence et l’étendre à tout le pays. Il agite la menace depuis décembre et les rumeurs à Manille se multiplien­t depuis. Mercredi, le Parlement, acquis au président, doit statuer sur cette décision. La Cour suprême pourrait également être saisie. Maître de l’irrationne­l et dans l’art de souffler le chaud et le froid, Duterte a indiqué le week-end dernier qu’il ne tiendrait pas compte de la décision de la plus haute instance judiciaire philippine et ne ferait confiance qu’à la police et à l’armée. Avant de faire machine arrière ce lundi. Entre-temps, l’idée a fait son chemin, comme un ballon d’essai.

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TED ALJIBE AGENCE FRANCE-PRESSE La violence dans les rues de Marawi a poussé des milliers de personnes à prendre la fuite, se réfugiant dans un centre d’évacuation à Balo-i, sur l’île de Minanao.

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