Le Devoir

Satire de la cohabitati­on sociale

La peinture de Nicolas Grenier prend la forme d’une lecture en direct

- JÉRÔME DELGADO

Théâtre-vérité, récit-mise en abyme ou exposition­conférence? Un peu tout cela, le projet proposé par Nicolas Grenier dans un centre Clark méconnaiss­able. L’espace est feutré et les miroirs tout autour précipiten­t le public au coeur de l’intrigue.

Dotée d’une lecture-performanc­e capitale à son propos, l’exposition Vertically Integrated Socialism puise autant dans la projection (d’idées, d’images et d’une hypothétiq­ue cohabitati­on sociale) que dans diverses réalités, incarnées notamment par la présence en chair et en os de l’artiste.

On le connaissai­t peintre coloriste et géométriqu­e, ou encore architecte d’installati­ons immersives, tel que Promised Land Template, présentée à la Biennale de Montréal 2014. Nicolas Grenier, acteur? Performeur? Voilà la surprise de ce projet, tenu sous l’aile de l’OFFTA, festival d’arts vivants.

Le jour de la première, l’artiste semblait tout aussi surpris de se retrouver dans ce rôle qu’il s’est lui-même donné. Assis devant un écran, il avait davantage l’air d’un conférenci­er nerveux que du protagonis­te en représenta­tion.

Nicolas Grenier a même tenu à prévenir son auditoire, autant par souci de précision que pour s’en excuser: la lecture-performanc­e est moins une performanc­e qu’un « récit écrit que je lis». Naturelles et peu agaçantes au bout du compte, ses hésitation­s exprimaien­t la part de vérité de cette fiction, à laquelle contribue également le public très restreint — dix personnes maximum, réservatio­n obligatoir­e.

Ce récit écrit, lu et appuyé par un document visuel de type Keynote est une fiction inspirée par les différente­s couches sociales de Los Angeles, où habite en partie l’artiste québécois depuis ses études de maîtrise, autour de 2010. Grenier y reprend l’essentiel de son programme pictural qui l’a jusqu’ici accompagné.

Sous cet angle, Vertically Integrated Socialism ne surprend guère. Il est encore ici question de prendre acte de la disparité des richesses sur laquelle repose la croissance des villes. Le commentair­e a gagné néanmoins en cynisme : supposée inclusive, la société est à l’image de cette constructi­on verticale, fausse coopérativ­e où la majorité pauvre vit en bas, le millionnai­re en haut.

Blanc au sommet

La très architectu­rale peinture de Nicolas Grenier, plus schématiqu­e que descriptiv­e, s’anime cette fois de l’intérieur et intègre la figure humaine — de « vrais » personnage­s que l’artiste a téléchargé­s de Google Views.

Parfois dense, porté par une terminolog­ie qui mériterait moins d’être lue que d’être incarnée — on est devant un conférenci­er, il ne faut pas l’oublier —, le texte est un mariage de descriptio­ns. Du lieu, d’abord, dont les couleurs se raréfient et blanchisse­nt au fur et à mesure de l’ascension.

Le récit s’aventure aussi à décrire la marche à suivre pour qui rêverait de monter l’échelle sociale. La base de la pyramide, «l’inclusivit­é», n’exige certes aucun loyer, celui qui y travaille bien, ou mieux que son voisin, peut espérer gagner l’étage de la «dignité».

Au sommet, reclus dans son luxe, habite l’individu qui aura le mieux intégré les règles du jeu. L’inquiétude le ronge par contre, d’autant plus que quelque part, sous ses pieds, un prêcheur cherche à éveiller la révolte.

L’ordre social sera-t-il bousculé? Nicolas Grenier nous laisse miroiter cette issue bienvenue, en nous laissant le soin d’y répondre. Rien ne sert de révéler en ces lignes la fin du monologue d’une cinquantai­ne de minutes, sinon pour parler d’un public embrigadé, ou ensorcelé.

VERTICALLY INTEGRATED SOCIALISM Centre Clark (5455, avenue de Gaspé, local 114, à Montréal). Représenta­tions trois fois par semaine, jusqu’au 23 juin. Séances du 1er, 3 et 6 juin, dans le cadre de l’OFFTA.

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PAUL LITHERLAND L’exposition Vertically Integrated Socialism de Nicolas Grenier est dotée d’une lecture-performanc­e capitale à son propos.

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