Le Devoir

Au café-théâtre, l’humour britanniqu­e comme remède à l’attentat

- ROSIE SCAMMELL à Manchester

Quelques jours après l’attentat de Manchester, les habitants viennent garnir les salles des cafés-théâtres, où l’humour est considéré comme un antidote dans une ville ciblée par le djihadisme.

«C’est important de garder son humour quand vous êtes confrontés au stress de certains événements difficiles, ça aide à faire face», estime Cate Gardner, qui est venue fêter son anniversai­re samedi soir au Frog and Bucket, petite salle de spectacle au coeur de Manchester. «Au lieu de pleurer, ça fait du bien de rire, c’est une manière de dépasser ce qui est arrivé. Et c’est communicat­if, ça aide aussi les autres», explique-t-elle, pendant qu’au bar, des clients commandent des pichets de bière, en attendant le début du spectacle.

Les habitants ont timidement renoué avec l’humour quelques heures seulement après l’attaque, quand le poète Tony Walsh a évoqué les traits de caractère des Mancuniens lors de la veillée d’hommage, mardi sur Albert Square. Quelques rires ont jailli dans la foule silencieus­e, qui a massivemen­t applaudi à la fin du poème.

Pour David Perkin, le directeur du Frog and Bucket, l’humour est un moyen d’atténuer les peines. «L’humour britanniqu­e nous permettra toujours de répondre à ce qui nous arrive, que ce soit positif ou négatif, affirme-t-il. Cela a toujours été le cas. Pendant la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale, il y a toujours eu des blagues. »

Tourner la page

Il se souvient des foules qui emplissaie­nt son établissem­ent après l’attentat perpétré par l’Armée républicai­ne irlandaise (IRA) en 1996, qui avait fait plus de 200 blessés. «On a rouvert le lundi [l’attentat avait eu lieu un samedi], les gens faisaient la queue pour voir les comédiens se moquer de la bombe de l’IRA. »

L’attaque de lundi, à l’issue d’un concert de la chanteuse américaine Ariana Grande, a tué 22 personnes et fait 116 blessés. Le lendemain, la première ministre, Theresa May, avait annoncé que le niveau d’alerte terroriste était élevé à son échelon le plus haut (il a été abaissé d’un cran depuis).

Pas intimidés, les internaute­s avaient alors lancé sur les réseaux sociaux le mot-clé « British Threat Levels », pour raconter eux-mêmes l’épisode le plus effrayant qu’ils aient vécu.

«Une bataille de regards dans le métro», a notamment évoqué un usager.

«Nous sommes Britanniqu­es. Rien ne m’effraie jusqu’à ce que le niveau d’alerte indique “Bus de remplaceme­nt ”», a écrit un autre utilisateu­r, en référence aux perturbati­ons sur le réseau ferroviair­e.

Au Frog and Bucket samedi soir, les blagues étaient accueillie­s comme un moyen de tourner la page sur la pire attaque terroriste vécue par le pays depuis une décennie.

L’humour britanniqu­e toujours gagnant

« Quoi qu’il se passe, je pense qu’il faut prendre les choses du bon côté et profiter de la vie», s’amuse Christian Bajda, installé avec des amis dans le café-théâtre.

Mais alors que l’enquête se poursuivai­t non loin, aucune blague n’a été formulée sur l’attentat.

«Il y a une période où l’émotion est encore tellement vive que vous ne pouvez pas vous permettre de mentionner certaines choses», explique le comédien Steve Royle avant d’entrer en scène.

David Perkin reconnaît qu’il faudra du temps avant que le public se permette de rire de l’attentat.

«Quand la princesse Diana est morte, ça nous a demandé un moment avant de pouvoir aborder le sujet d’un ton plus léger», se souvient-il.

Le sujet de l’attentat étant maintenu loin de la scène, le public attendait, excité, les premiers sketchs de la soirée.

«Notre ville a essuyé beaucoup de tragédies, mais à la fin, c’est toujours l’humour qui gagne », conclut Perkin.

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