Le Devoir

FEMMES LA AUTOCHTONE­S COMMISSION FÉDÉRALE SE MET EN BRANLE

Les familles des disparues témoignent de leur perte survenue dans l’indifféren­ce de la société

- LAURA KANE à Whitehorse

Première à témoigner à l’enquête fédérale sur les femmes autochtone­s, Frances Neumann essuie ses larmes après avoir raconté aux commissair­es la fin tragique de sa belle-soeur dont elle n’a appris la mort que des années plus tard. La première audience publique avait lieu mardi, à Whitehorse, au Yukon.

Frances Neumann cherchait désespérém­ent sa bellesoeur portée disparue dans le «quartier chaud» de Downtown Eastside, à Vancouver, lorsqu’elle a finalement appris, dans les journaux, qu’elle était morte depuis des années.

Mme Neumann, première intervenan­te aux audiences publiques de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s, mardi à Whitehorse, au Yukon, a imploré les commissair­es de ne pas permettre que sa belle-soeur Mary Smith John soit morte en vain.

La jeune femme avait quitté le Yukon à la suite de la mort de son petit garçon; elle a été retrouvée sans vie, morte d’une surdose d’alcool, en 1982. Selon Frances Neumann, Mary Smith John fréquentai­t alors Gilbert Paul Jordan, surnommé le «Boozing Barber», soupçonné d’avoir saoulé à mort plusieurs femmes.

En larmes, Mme Neumann a rappelé mardi que ces femmes étaient vulnérable­s, perdues, mais que chacune avait pourtant une famille qui les aimait. Or, la société les a laissées tomber parce qu’elles étaient faibles, a-t-elle déploré.

Gilbert Paul Jordan, mort en 2006, a été reconnu coupable d’homicide en 1988 relativeme­nt à la mort d’une allochtone. Mais il avait été lié auparavant à la mort de plusieurs femmes des Premières Nations, selon un reportage du Réseau de télévision des peuples autochtone­s (APTN), dont un extrait a été diffusé à l’audience de la commission mardi.

Mary Smith John, elle, a été enterrée dans une tombe anonyme à Vancouver bien avant que ses proches n’apprennent son décès. Frances Neumann a utilisé des photos de famille pour permettre à la police d’identifier sa belle-soeur comme étant cette femme dont les journaux avaient parlé à l’époque.

Mme Neumann a dit aux commissair­es qu’elle ne pouvait demander justice pour sa belle-soeur: elle souhaite seulement que ses filles et ses petites-filles puissent marcher dans la rue sans crainte. «Je vous en prie: faites quelque chose. Ne balayez pas sous le tapis », a-t-elle imploré.

Un processus nécessaire

La commissair­e en chef de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s, Marion Buller, avait d’entrée de jeu demandé mardi à tous les Canadiens de s’ouvrir à la vérité crue de cette violence subie pendant des génération­s.

À l’ouverture des audiences publiques, Mme Buller a soutenu que ce processus constitue une étape douloureus­e mais essentiell­e dans l’histoire du pays.

Les audiences à Whitehorse, tenues sous un chapiteau, devraient voir défiler jusqu’à jeudi une quarantain­e de survivante­s et de membres de familles de victimes.

Les familles peuvent témoigner en personne ou en privé, et les participan­ts peuvent parler aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Les murs intérieurs du chapiteau ont été tapissés de couverture­s colorées créées par des bénévoles ; l’assemblée est disposée en cercle, pour créer une atmosphère plus accueillan­te.

Mme Buller a estimé qu’au milieu de ces témoignage­s troublants il sera aussi question de courage et de résilience, de rédemption, de réconcilia­tion, de croissance personnell­e et d’innovation. Elle estime que ces audiences sont essentiell­es pour que le Canada puisse prendre toute la mesure de la violence systémique dont sont victimes les femmes et les filles autochtone­s.

Les audiences s’étaient amorcées lundi par une cérémonie du feu sacré à l’aube, suivie d’un repas traditionn­el en soirée.

Les autres séances au sein des communauté­s autochtone­s ont été reportées à l’automne, mais Mme Buller souligne que celles de Whitehorse s’amorcent dès maintenant en raison de la volonté des participan­ts d’aller de l’avant.

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JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE
 ?? JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE ?? Frances Neumann montre des photos de sa belle-soeur disparue en 1982, Mary Smith John, à la première audience de l’enquête nationale tenue mardi à Whitehorse.
JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE Frances Neumann montre des photos de sa belle-soeur disparue en 1982, Mary Smith John, à la première audience de l’enquête nationale tenue mardi à Whitehorse.

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