Québec veut faire cesser les notes gonflées
Le ministre de l’Éducation invite les professeurs à dénoncer les situations irrégulières
Les professeurs qu’on force à hausser les notes de leurs élèves peuvent s’en plaindre auprès de leur commission scolaire, selon le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx, qui vient de donner une directive à ce sujet.
« Si vous avez l’occasion de faire la démonstration que la loi n’est pas respectée, vous avez la possibilité de le rapporter à la commission scolaire », a déclaré le ministre mardi après-midi. «On va faire en sorte que les gens qui doivent appliquer la loi le fassent. […] Je ne veux pas que des organisations utilisent l’évaluation pour tenter d’améliorer leur bilan comme institution.»
M. Proulx est sous pression depuis qu’un sondage de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a révélé que près de la moitié des professeurs avaient vu des notes d’élèves augmentées par la direction de l’école pour qu’ils puissent avoir la note de passage.
Après avoir fait des vérifications, le ministre en a conclu que le problème était assez important pour imposer «une directive» rappelant le réseau à ses obligations.
Sans quantifier le phénomène, M. Proulx a dit que le gonflement des notes n’était pas une pratique « généralisée » et qu’il n’avait pas eu vent d’autres cas que ceux recensés dans les médias ces dernières semaines. Il se dit par ailleurs convaincu que la directive permettra de régler le problème sans qu’il ait à imposer des sanctions.
La directive constitue toutefois une mesure bien trop timide aux yeux de l’opposition. Alexandre Cloutier du Parti québécois continue de réclamer la tenue d’une commission parlementaire pour qu’on puisse mesurer l’étendue du problème. «Il faut donner une chance au milieu de s’exprimer », a-t-il déclaré. Le député a également mis en doute les propos du ministre, qui affirmait que le problème n’était pas plus étendu. «C’est faux», a-t-il dit en soulignant qu’il avait reçu «des dizaines et des dizaines de témoignages » à cet effet ces dernières semaines.
Du côté de la Coalition avenir Québec (CAQ), on reproche au gouvernement de donner le mauvais exemple en maintenant sa pratique de majorer les notes de 58 à 60% lors des examens du ministère. «S’il en reste là, ça veut dire qu’il ne veut pas aller au fond des choses »,a dénoncé le député Jean-François Roberge, qui milite, lui aussi, en faveur d’une commission parlementaire.
En conférence de presse, le ministre s’était en effet montré opposé à l’idée de revoir les pratiques du ministère. «Le traitement statistique est nécessaire », a-t-il dit. «Il n’y a pas à peu près 1,6% des cas qui ont été touchés. Il faut se rappeler, là, que ce n’est pas tous les élèves qui se retrouvent à une épreuve unique du ministère à 58%.»
Enfin, Québec solidaire salue la nouvelle directive, mais estime qu’il faut «régler le problème à la source» en finançant mieux le réseau. « La dure vérité est que les coupes ont fait mal à nos classes, et maintenant des directions tentent de réchapper le système en jouant avec les notes », a fait valoir Amir Khadir.
Pas juste une histoire de notes
Mardi, la Fédération des comités de parents a félicité le ministre pour l’arrivée « rapide » de cette directive. «Avec cette directive, les commissions scolaires doivent prendre tous les moyens disponibles afin de corriger toutes situations non conformes », a plaidé la présidente Corinne Payne.
La Fédération des commissions scolaires a, elle aussi, salué le geste du ministre tout en mettant en cause l’ampleur du phénomène. « Lorsque la situation a été dénoncée par les syndicats, on a écrit à nos membres pour leur dire de faire des vérifications», a signalé la porte-parole Caroline Lemieux. «On s’interroge sur l’ampleur du phénomène. On est toujours en attente de preuves de ça. »
La directive est aussi «une façon de calmer le jeu, surtout en période d’évaluation», croit quant à elle Hélène Bourdages, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES).
Elle ne nie pas qu’il existe un certain « malaise » autour de l’évaluation des compétences plutôt que l’évaluation des connaissances depuis la réforme scolaire. Le rehaussement des notes des élèves ne surviendrait cependant pas à l’insu des enseignants ou à la suite de « pressions indues», selon elle, contrairement à ce qu’affirmait la FAE avec ses sondages. La directive changera donc peu les manières de faire, croit-elle.
Les mots du ministre Proulx serviraient plutôt de rappel utile des « rôles et responsabilités de chacun », appuie Lorraine Normand-Charbonneau, présidente de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE). Elle explique que l’évaluation des enfants en difficulté fait l’objet de discussions où d’autres spécialistes peuvent être conviés en plus de l’enseignant.
Du côté des enseignants, la Fédération des syndicats FSE-CSQ parle d’un « pas dans la bonne direction». Or la présidente Josée Scalabrini se demande comment le ministre entend faire respecter ce qu’il annonce. Quant à la FAE, elle estime qu’il était temps d’agir. « On va dire clairement aux professeurs: à l’avenir, si quelqu’un remet en question votre jugement professionnel, sortez la directive du ministre», a réagi le président Sylvain Mallette, qui lui aussi aimerait toutefois que se tienne une commission parlementaire sur le sujet.