2019 est à l’horizon
Reflet du sourire proverbial de leur nouveau chef, les conservateurs affichent un certain optimisme teinté de soulagement depuis l’élection, samedi soir, d’Andrew Scheer à la tête de leur parti.
Imaginez! Après les manchettes des premiers mois de campagne au sujet du test sur les valeurs canadiennes à imposer aux immigrants proposé par Kellie Leitch au moment où Donald Trump faisait des siennes sur le même thème, ils ont vu Maxime Bernier relever le discours avec des propositions cohérentes mais organisées un peu simplement autour d’un État minimaliste. Et une distraction en la personne de Kevin O’Leary, un homme d’affaires vedette de téléréalité, venu faire un tour de piste qui a tourné court après plusieurs déclarations controversées.
Leitch, Bernier, O’Leary en têtes d’affiche, pour aboutir avec… Scheer! Ouf! ont soupiré plusieurs. Scheer, qui fait dire aux commentateurs que les conservateurs ont «choisi» la voie de la prudence. Un choix, vraiment? Ou plutôt un résultat ?
Avec 51% des points au 13e tour et seulement 22% des appuis au départ, M. Scheer a pris la tête au tout dernier tour en tirant profit d’un mode de scrutin tortueux couplé à un concours de circonstances.
Deux blocs d’appuis, les conservateurs sociaux et les hostiles à la libéralisation à tous crins de Maxime Bernier, en particulier au Québec sur le dossier de la gestion de l’offre, combinés à l’image d’affabilité d’Andrew Scheer, et le tour était joué.
Avec M. Scheer à leur tête, les conservateurs ont certes remédié à un des constats rapides qui ont suivi la défaite d’octobre 2015 : un changement de ton s’imposait. Mais on reste loin de l’autre appel, celui lancé par des bonzes et commentateurs de la droite canadienne, pour une régénération de la pensée de droite. M. Scheer se cantonne depuis samedi dans des lieux communs sur les impôts ou des attaques contre Justin Trudeau qu’auraient lancés Rona Ambrose ou, pire, Stephen Harper.
Quelle route mène Andrew Scheer à l’échéance électorale, outre celle de talonner les libéraux à titre de chef de l’opposition et de compter sur certaines erreurs de ceux-ci ainsi que sur les aléas de la politique, ici et ailleurs, pour lui fournir des munitions?
Il ne commence pas son mandat les mains vides. La course a permis de revitaliser la base. Les fonds ne manquent pas, c’est un euphémisme, et l’expertise de campagne ainsi que la base de données sont de première qualité. En prime, les conservateurs ont en mémoire l’errance libérale post-Chrétien-Martin. Pas de schisme en vue, mais surtout, pas de ce syndrome du « parti de gouvernement naturel » qui a différé les profondes remises en question qui s’imposaient chez les libéraux.
Le congrès qui va jeter les bases de la prochaine plateforme, prévu en août 2018, sera la véritable occasion de définir le conservatisme qui permettra de créer la coalition indispensable pour projeter le parti des 30% d’appuis acquis jusqu’à la victoire.
La coalition de la majorité de 2011 n’est pas susceptible de se reproduire, nous disent plusieurs conservateurs consultés. Les immigrants des grandes banlieues de Toronto et de Vancouver vont être difficiles à récupérer en aussi grand nombre. On va se concentrer sur ceux d’origine asiatique, plus conservateurs. Obtenir une majorité avec seulement cinq élus au Québec est une «tempête parfaite» qui n’est pas envisageable, ni souhaitable. Enfin, l’arrivée en masse des «milléniaux» sur le marché électoral a changé la donne; ils vont pour la première fois dépasser les baby-boomers en nombre et leur taux de participation aux élections a bondi de 20 %, pour rejoindre la moyenne nationale. Une modernisation des politiques et du discours va s’imposer, comme aller plus loin qu’un simple recul sur la tarification du carbone et présenter une politique crédible sur les changements climatiques pour donner un exemple.
Une indication: à sa toute première question en chambre hier, M. Scheer a misé sur l’insécurité financière des jeunes familles en ciblant des politiques du gouvernement Trudeau qui les taxent davantage, les endettent collectivement pour des décennies et limitent leur embauche.
Les libéraux misent eux aussi sur l’économie, avec un redressement qu’ils vont vouloir associer à leurs politiques en matière d’infrastructures, d’innovation et de soutien aux familles. Toutefois, ils ont maintenant une cible dans leur mire en prévision de 2019, moins grosse et moins facile à toucher que Maxime Bernier, de leur propre aveu. Une cible qui a du bagage. En plus de son opposition à l’avortement et au mariage gai mise au placard, il y a celle à l’aide médicale à mourir, à C-16 sur l’égalité des transgenres et un appui à un projet de loi qui criminaliserait un assaut contre un foetus. Ajoutez les engagements à éliminer le déficit en deux ans, à financer l’école à la maison, à contrer les sites d’injection supervisés ou à privilégier les réfugiés chrétiens, et la course vers 2019 est lancée! Il ne reste qu’à connaître le troisième joueur fédéral; le NPD choisira son chef fin octobre.