Des bémols à la thérapie génétique
Des modifications inattendues sont observées chez des animaux de laboratoire
Alors qu’on s’apprête à employer la technologie CRISPR-Cas9 dans des essais cliniques de thérapie génique chez l’humain, une étude parue dans la revue Nature Methods montre que cette technologie qui permet de corriger une mutation dans un gène précis introduit aussi des centaines de mutations inattendues dans le génome des animaux traités.
La technologie d’édition génique CRISPR-Cas9 est devenue l’outil de prédilection des scientifiques qui cherchent à comprendre le rôle de certains gènes en raison de sa simplicité d’utilisation, de sa grande précision et de sa rapidité d’action. Elle laisse aussi entrevoir des thérapies géniques plus efficaces étant donné qu’elle permettrait de réparer les gènes défectueux qui sont responsables de maladies génétiques.
Un premier essai clinique faisant appel à cette technologie est en cours depuis novembre dernier en Chine.
Cet essai consiste à injecter à des patients cancéreux des cellules immunitaires dans lesquelles CRISPR-Cas9 a supprimé le gène codant pour une protéine qui réduit l’activité immunitaire contre les cellules appartenant à l’organisme, dont les cellules cancéreuses.
Plusieurs études cliniques de thérapie génique devraient également débuter en 2018 aux États-Unis.
Mutations imprévues
Dans l’étude publiée cette semaine dans Nature Methods, les chercheurs ont utilisé chez des souris la technologie CRISPR-Cas9 pour corriger un gène responsable de la cécité.
Chez deux souris dont le gène muté avait été bien réparé, ils ont découvert
plus de 1500 mutations imprévues affectant des nucléotides individuels (soit une seule lettre de l’ADN) et plus d’une centaine de délétions (perte d’un fragment d’ADN) et d’insertions inattendues.
«Aucune de ces mutations n’avait été prédite par les algorithmes qui sont couramment utilisés pour repérer les mutations affectant des régions autres que le gène ciblé», souligne le Dr Vinit Mahajan, professeur d’ophtalmologie à l’Université Stanford en Californie et coauteur de l’étude.
Dans des régions codantes
Ces algorithmes de prédiction fonctionnent très bien quand CRISPR-Cas9 est utilisé sur des cellules ou des tissus particuliers, mais ils n’avaient pas encore été éprouvés sur le génome complet d’animaux vivants, font remarquer les auteurs.
Parmi les multiples mutations découvertes, plusieurs étaient situées dans des régions codantes, c’est-à-dire responsables de la synthèse de protéines, mais la plupart visaient «des régions non codantes qui représentent près de 99% du génome».
«Cet ADN non codant était autrefois appelé ADN poubelle. Aujourd’hui, nous savons que ces régions du génome ne fabriquent pas de protéines, mais qu’elles produisent du matériel qui contrôle l’expression des gènes. Nous ne comprenons pas complètement leur rôle, mais elles ne peuvent être ignorées », affirme le Dr Mahajan.
Impacts inconnus
Même si les animaux semblaient normaux à la fin de l’expérience, le Dr Mahajan avoue qu’ils n’ont pas été étudiés très longtemps et qu’il faudra procéder à de plus amples recherches pour mieux les comprendre et pour voir l’impact qu’elles pourraient avoir.
De plus, «nous ne savons pas si les conséquences seront les mêmes si la correction doit être effectuée sur d’autres types de cellules et dans d’autres systèmes que celui de la vision », précise-t-il.
«Nous continuons néanmoins d’entrevoir l’utilisation de CRISPR-Cas9 avec enthousiasme car, en tant que médecins, nous savons que tous les traitements comportent des bénéfices et des risques [c’est-à-dire des effets secondaires].
« Et dans certains cas, le bénéfice est si grand que les risques nous apparaissent acceptables », fait valoir le chercheur, avant de spécifier que des chercheurs tentent d’« optimiser et d’améliorer toute la machinerie» de CRISPR-Cas9.
Ils cherchent à améliorer l’enzyme Cas9 pour qu’elle soit plus spécifique quand elle coupe le gène visé et qu’ainsi elle n’agisse pas en dehors de sa cible, et ils s’appliquent à concevoir des ARN qui guideront l’enzyme de façon plus spécifique.
«On peut espérer obtenir un système plus performant que celui que nous avons aujourd’hui », dit-il.
Aucune de ces mutations n’avait été prédite par les algorithmes qui sont couramment utilisés Dr Vinit Mahajan, professeur d’ophtalmologie à l’Université Stanford