Le Devoir

L’amalgame relève de l’aveuglemen­t volontaire

Le texte qui suit se veut une réplique à celui de Libre opinion publié le 29 mai et signé par André Lamoureux, sous le titre « Québec solidaire, enclave du gauchisme et allié de l’islamisme».

- OLIVIER COLLIN Professeur à l’Université du Québec à Montréal

M.André Lamoureux, je ne vous connais pas même si nous enseignons à la même université, mais votre texte sur Québec solidaire et l’islamisme n’est pas digne d’un universita­ire tant il est truffé de raccourcis évidents. On y sent de plus une hargne à l’égard des concitoyen­s ayant des opinions et croyances différente­s des vôtres, une hargne qui illustre bien ce qui dérange un grand nombre de Québécois en ce qui concerne la question du vivre ensemble et de l’idée de la nation.

Tout d’abord, vous usez du terme «islamisme» de la même façon que l’on brandissai­t naguère l’épouvantai­l «communiste» dans certains milieux, c’est-à-dire sans aucune nuance et, surtout, en réduisant des réalités complexes (statut d’immigrant, difficulté­s quant à l’emploi, liens à la communauté d’origine et à celle d’accueil, etc.) à une simple question de croyance religieuse. Ne pas voir que les diverses population­s de la communauté musulmane ne se reconnaiss­ent généraleme­nt pas dans les prescripti­ons salafistes et wahhabites relève de l’aveuglemen­t volontaire ou alors d’une absence totale d’interactio­n avec des représenta­nts ordinaires de ces communauté­s.

Un des acquis les plus chers de nos démocratie­s est qu’il n’est pas admissible pour une majorité de dicter à une minorité comment se comporter dans des sphères ne relevant pas des lois et chartes sur lesquelles il y a un historique crédible et partagé. Une relecture du fameux texte Two concepts of liberty d’Isaiah Berlin vous serait certaineme­nt bénéfique. Toute attaque du type de la charte de Bernard Drainville est immédiatem­ent reconnue par un immigrant roumain ayant fui Ceausescu, un Algérien pourfendeu­r du Front islamique du salut (FIS) ou un militant de gauche connaissan­t tout le mépris que peuvent ressentir certains cercles bien nantis à l’égard du «petit peuple».

Un des fondements de l’idéal de gauche est que la condition humaine doit être améliorée là où il y a des injustices flagrantes. Cela vaut pour les conditions de travail inadmissib­les dans certains secteurs, pour une redistribu­tion de la richesse pour éviter à quiconque la pauvreté abjecte, et pour des discours s’en prenant à des concitoyen­s ayant des pratiques ou opinions fondamenta­lement différente­s mais néanmoins compatible­s avec les lois de notre contrée. Certes, la réalité nous rattrape constammen­t, mais l’idéal devrait être là pour guider nos intuitions quant à l’avenir.

On ne finit pas de compter les phrases dénigrante­s dans votre texte, ce qui suggère que celui-ci n’est pas écrit dans un souci d’une meilleure compréhens­ion de la situation politique et sociale actuelle. Le Québec a fait il y a plusieurs décennies un choix d’ouverture à l’immigratio­n et à l’intégratio­n de nouvelles communauté­s dans le tissu québécois. Il existe des avenues entre un communauta­risme étanche et un repli de la majorité sur des valeurs posant problème à diverses minorités. C’est la voie de l’intercultu­ralisme, du dialogue respectueu­x et, si tout cela se passe bien, du métissage.

Et avant que vous ne me catégorisi­ez, je voudrais vous faire savoir que je me revendique d’un athéisme à l’aise dans une social-démocratie laissant place à tous les courants de pensée, que je sois d’accord ou non avec ceux-ci. Et puis, mon éducation m’a enseigné que la situation de mes concitoyen­s est plus importante que des concepts professés ici et là de manière purement spéculativ­e sans égard à leur impact sur le vécu quotidien de tout un chacun.

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