Le Devoir

L’Europe comme contre-pouvoir

Les dirigeants européens auront fait de gros efforts, la semaine dernière, au sommet de l’OTAN à Bruxelles, pour composer avec Donald Trump. Leur patience, à commencer par celle de l’Allemagne, a craqué au sommet du G7 de Taormina, en fin de semaine. À qu

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Avons-nous jamais vu retombées moins diplomatiq­ues d’un sommet du G7 ? On savait déjà les relations entre Donald Trump et Angela Merkel plutôt mauvaises. Leur rencontre en mars dernier à la Maison-Blanche avait été glaciale. Avec le sommet du G7, le désaccord est étalé au vu et au su de tous. Dimanche à Munich, déboussolé­e par ce qu’elle venait de vivre en Sicile, la chancelièr­e allemande n’a pas mis de gants : «Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours. Nous, les Européens, devons vraiment prendre en main notre propre destin.» Lire que le traditionn­el allié américain n’est plus tout à coup l’ami qu’il était depuis 60 ans.

Commerce internatio­nal, politique de défense, Accord de Paris sur le climat: le fossé creusé par Trump devant ses principaux partenaire­s occidentau­x est devenu béant au G7, impossible à ignorer. «Ce que nous avons vécu lors du sommet ne correspond pas à ce que nous attendons d’un président américain, ni sur le plan intellectu­el ni sur le plan du potentiel de l’Amérique », a déclaré très publiqueme­nt Jürgen Hardt, député membre du gouverneme­nt allemand et haut placé aux Affaires étrangères.

Sigmar Gabriel, chef de la diplomatie, en a rajouté lundi en déclarant que «l’Occident est devenu plus petit, ou du moins a été affaibli» maintenant que les États-Unis ont à leur tête un président qui nie l’impact du réchauffem­ent climatique et qui est allé négocier un contrat d’armement en Arabie saoudite, « où les droits de la personne sont bafoués ».

Tout cela vaut d’être cité, vu la véhémence hors norme du propos. Encore qu’en matière de vente d’armes dans le monde, les États-Unis ne sont certaineme­nt pas les seuls à mériter qu’on les montre du doigt. Il ne faut pas non plus oublier que les propos de Mme Merkel sont électorale­ment intéressés, puisque des législativ­es auront lieu en septembre en Allemagne.

Que la sortie anti-Trump de Berlin soit justifiée ne veut pas dire par ailleurs que M. Trump a tort d’avoir dénoncé, mardi encore, dans son vocabulair­e de dix mots, l’excédent commercial excessif de l’Allemagne avec les États-Unis. Vrai qu’il est excessif et que les Allemands sont coupables de faire la sourde oreille à ce sujet. Le problème étant évidemment que les accusation­s lancées à l’Europe en général et à l’Allemagne en particulie­r, pour ce qui concerne notamment leur contributi­on inadéquate au financemen­t de l’OTAN, visent moins à recréer un ordre internatio­nal amélioré qu’à servir les obsessions protection­nistes du nouveau président.

Mme Merkel prend acte de la nouvelle donne qu’impose M. Trump et s’en inquiète aussi sûrement, comme l’alliance avec les États-Unis est depuis longtemps un principe de politique extérieure pour la droite allemande. Reste qu’en l’occurrence et dans le contexte de la négociatio­n qui s’amorce autour du Brexit avec le Royaume-Uni, M. Trump joue le rôle de repoussoir. Il cherche à diviser l’Europe, mais son comporteme­nt est en fait l’occasion pour le couple franco-allemand de se souder, à la faveur de l’arrivée du président Emmanuel Macron, et pour les européiste­s de se constituer utilement en contre-exemple à l’enfermemen­t sur soi.

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GUY TAILLEFER

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