Le Devoir

Des substituts pour éviter la plupart des élections partielles ?

- PATRICE DALLAIRE Diplomate en résidence aux Hautes Études internatio­nales de l’Université Laval

Selon le Directeur général des élections du Québec, une élection partielle coûte en moyenne 550 000$ au trésor public. Au rythme où vont les choses, les Québécois auront dépensé, au cours du mandat actuel, plus de 10 millions de dollars pour remplacer des députés qui, dans 90% des cas, n’ont pas rempli leur contrat moral envers leurs électeurs en démissionn­ant avant la fin de leur mandat.

Pourtant, il existe deux façons simples d’éviter ces dépenses: l’élection de substituts ou encore la désignatio­n par forfait. Les substituts seraient élus conjointem­ent avec les députés lors du scrutin général; la désignatio­n par forfait dépendrait du résultat de l’élection générale.

La première option, relativeme­nt simple, aurait l’avantage de respecter la volonté démocratiq­ue exprimée lors du scrutin en instituant le remplaceme­nt du député démissionn­aire par un remplaçant ou un substitut élu au même moment, tout en évitant un coûteux scrutin où le taux de participat­ion est souvent beaucoup plus bas, donc à valeur démocratiq­ue plus douteuse, que lors de l’élection générale. Elle aurait aussi l’avantage de favoriser la parité hommes-femmes, les partis n’ayant qu’à s’assurer que cet équilibre soit respecté dans chaque circonscri­ption.

Sous cette option, une élection complément­aire n’aurait lieu que si le substitut déjà élu n’était pas en mesure, pour une raison ou une autre, de prendre la relève. Pour éviter les candidatur­es prête-noms qui ne viseraient qu’à donner un effet de levier au premier de liste, et afin d’éviter qu’il ne se défile au dernier moment, le substitut pourrait être assermenté comme député au même titre que le premier de liste. Les substituts seraient donc des députés en réserve. Ils pourraient aussi, à la discrétion des formations politiques, participer aux activités partisanes (congrès, caucus, etc.) et, de leur propre initiative, comme observateu­rs aux délibérati­ons de l’Assemblée nationale ou des commission­s parlementa­ires.

Ce mode d’élection n’est pas éloigné de celui de remplaçant­s élus, en même temps que les délégués officiels, lors des convention­s politiques de naguère. On amène au niveau du député, en quelque sorte, le principe du vice-président ou du vice-premier ministre en désignant quelqu’un qui prend la relève en cas d’incapacité, de départ ou de décès.

La deuxième option, plus complexe mais aussi plus mordante politiquem­ent, permettrai­t d’imposer un coût politique aux partis des députés démissionn­aires en instituant le remplaceme­nt de ceux-ci par le candidat ou la candidate ayant récolté le deuxième plus important total de votes lors du scrutin général. Pourquoi, en effet, ne pas imposer un prix politique pour ce qui constitue un forfait politique, voire moral ? Ce prix politique serait d’autant plus élevé que le parti bénéficiai­re du forfait serait, généraleme­nt, le principal adversaire du parti dont le démissionn­aire serait issu !

Le scrutin à date fixe, en instituant un calendrier de mandat précis, offre ainsi l’occasion de remédier à une situation coûteuse, car il permet de diviser le mandat électif en périodes égales. Ce mécanisme de désignatio­n par forfait pourrait être appliqué pendant les deux premières années du mandat. Il aurait sans doute pour effet d’engendrer des pressions politiques pour éviter les démissions et départs volontaire­s ou du moins les remettre à la dernière année du mandat, car on n’aurait qu’à prévoir que, pour la quatrième année, aucun remplaceme­nt (ni par élection ni par substitut) ne serait permis. De sorte qu’une élection complément­aire n’aurait lieu qu’en cas de démission, de départ ou de décès au cours de la troisième année du mandat.

On pourrait prévoir la tenue d’une élection, par exception, si une vacance se produisait pendant les deux premières années du mandat et que le député désigné par forfait n’était pas en mesure d’occuper le siège laissé vacant.

On pense juguler le phénomène des départs hâtifs en pénalisant financière­ment les députés démissionn­aires. C’est-à-dire en les privant, dans la plupart des cas, de leurs primes de départ. Mais il est évident que l’abolition ou la restrictio­n des primes de départ à elles seules n’endigueron­t pas le phénomène des démissions avant la fin des mandats. Il faut donc aller dans une autre direction et sanctionne­r politiquem­ent les partis politiques eux-mêmes.

Nomination­s partisanes

Dans la même veine, on pourrait aussi prévoir que tout député qui démissionn­e pour accepter une nomination politique (fédérale ou provincial­e) ou pour se présenter à la Chambre des communes serait automatiqu­ement remplacé par le candidat du parti ayant terminé deuxième lors du dernier scrutin, qu’il y ait ou non une clause de substituti­on. Cette dernière propositio­n permettrai­t de décourager les nomination­s partisanes et les changement­s de carrière opportunis­tes.

Gardons à l’esprit que l’élection d’un membre de l’Assemblée nationale coûte aussi cher aux contribuab­les que son salaire pour un mandat normal de quatre ans! Les contribuab­les-électeurs sont en droit d’exiger un meilleur rendement pour leur « investisse­ment » dans le processus démocratiq­ue. Alors, si, en plus, il faut de nouveau pourvoir un poste par une élection en cours de mandat, ce rendement devient négatif.

Plus facilement mises en place qu’une réforme en profondeur du mode de scrutin, ces modificati­ons au système électoral pourraient être adoptées rapidement. Certes, nos propositio­ns exigent que nous acceptions de penser autrement et elles impliquent des entorses à nos traditions politiques. Mais pour changer durablemen­t les choses et si on souhaite véritablem­ent contrer le cynisme ambiant, il faut, en corollaire, agir avec audace et bousculer un peu nos vieilles façons de faire.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Gardons à l’esprit que l’élection d’un membre de l’Assemblée nationale coûte aussi cher aux contribuab­les que son salaire pour un mandat normal de quatre ans, demande l’auteur. Ci-dessus, Gabriel Nadeau-Dubois au moment de voter dimanche lors de la...

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