Le Devoir

Les lanceurs d’alerte sont-ils bien protégés ?

La Loi facilitant la divulgatio­n d’actes répréhensi­bles à l’égard des organismes publics est entrée en vigueur le 1er mai dernier. Les lanceurs d’alerte bénéficien­t-ils désormais d’un recours réellement fiable et confidenti­el?

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Plusieurs dizaines de dossiers ont déjà été créés au Bureau de la protectric­e du citoyen en lien avec la Loi facilitant la divulgatio­n d’actes répréhensi­bles à l’égard des organismes publics. C’est ce qu’affirme la protectric­e du citoyen, Marie Rinfret, près d’un mois après l’entrée en vigueur de ladite loi.

Le projet de loi 87, adopté le 9 décembre 2016, a donné à ce bureau impartial et indépendan­t le mandat de recevoir, de manière confidenti­elle, le signalemen­t de contravent­ions à des lois ou des règlements, de manquement­s graves à des normes d’éthique ou de déontologi­e, d’usage abusif de fonds publics, de cas graves de mauvaise gestion, ainsi que d’agissement­s qui pourraient porter atteinte à la santé, à la sécurité ou à l’environnem­ent en lien avec les activités des organismes publics. La protectric­e du citoyen détient ensuite le pouvoir d’enquêter, d’exiger qu’on lui communique des renseignem­ents et documents nécessaire­s, ainsi que de contraindr­e une personne à témoigner.

Une structure imperméabl­e

Séparée par une «muraille de Chine», selon les mots de Mme Rinfret, une équipe d’une dizaine de personnes travaille dans cette nouvelle direction des enquêtes sur les divulgatio­ns en matière d’intégrité publique sous l’égide de l’ombudsman. «Les effectifs sont en place, assure Mme Rinfret, ce qui fait que mon enjeu, actuelleme­nt, c’est vraiment de faire connaître ce droit.»

L’attributio­n de ce mandat à une entité indépendan­te a été applaudie par le Syndicat de la fonction publique et parapubliq­ue du Québec (SFPQ) et par le Syndicat des profession­nelles et profession­nels du gouverneme­nt du Québec (SPGQ). La Loi sur la protection des fonctionna­ires divulgateu­rs d’actes répréhensi­bles, adoptée par le gouverneme­nt fédéral en 2007, s’est révélée inefficace après avoir remis cette tâche entre les mains d’un Commissair­e à l’intégrité du secteur public, nommé après une consultati­on des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes. Devant la commission Charbonnea­u, l’organisati­on Transparen­cy Internatio­nal avait souligné en 2014 que sur 200 divulgatio­ns, seulement 6 avaient mené à une enquête, dont aucune n’avait donné raison au dénonciate­ur.

À Québec, le SFPQ et le SPGQ indiquent faire confiance à la protectric­e du citoyen. Richard Perron, président du SPGQ, déplore néanmoins que la loi 87 engendre une confusion en obligeant tous les ministères, organismes publics et sociétés d’État à créer leur propre mécanisme interne de plainte. Il invite les membres de son syndicat à signaler directemen­t les problèmes à la protectric­e du citoyen, comme la loi le permet, afin de minimiser les risques de représaill­es. «On va faire un guide dans lequel on va inscrire en gros, en encadré et en caractère gras: surtout, ne passez pas par votre système de plainte à l’interne», affirme-t-il.

De plus, il considère que l’argent dépensé dans ces mécanismes internes aurait plutôt dû être accordé à la protectric­e du citoyen. Dans le dernier budget, le gouverneme­nt du Québec lui a accordé 1,26 million pour sa nouvelle mission. Une somme jugée insuffisan­te par M. Perron, qui la compare aux 5,5 millions consacrés annuelleme­nt par la Ville de Montréal au Bureau de l’inspecteur général, dont le mandat se limite aux contrats publics municipaux. Il est à noter que la protectric­e du citoyen réserve un budget pour permettre aux témoins d’obtenir des conseils juridiques.

Le fardeau de la preuve renversé

Dans la protection accordée aux lanceurs d’alerte, les deux syndicats se réjouissen­t que la loi renverse le fardeau de la preuve dans le cas où une personne se dirait victime de représaill­es après avoir signalé un acte répréhensi­ble auprès de la protectric­e du citoyen. Ce sera ceux désignés comme responsabl­es des représaill­es qui devront désormais justifier pourquoi certaines de leurs actions, comme des suspension­s ou des congédieme­nts, ne constituai­ent pas une réponse à une divulgatio­n d’informatio­ns. «Pour nous, c’est une très belle avancée», dit Christian Daigle, président du SFPQ, qui rappelle que cet élément faisait défaut dans la loi fédérale.

«C’est ça qui donne des dents à la loi», juge aussi M. Perron. À son avis, cette mesure rendra les démarches plus rapides, alors que jusqu’ici les griefs sur cette question prenaient beaucoup de temps à aboutir. «Pour celui qui applique ou conçoit des représaill­es, il va y avoir un prix à payer et cela ne prendra pas des années», souligne-t-il.

Les syndicats s’inquiètent tout de même du fait que la loi génère un faux sentiment de sécurité. «On fait beaucoup de sensibilis­ation auprès de nos membres avant que des cas malheureux surviennen­t», souligne Christian Daigle. Il soulève le dossier en arbitrage, révélé par Le Soleil le 30 avril dernier, d’un inspecteur au ministère de l’Environnem­ent, qui a été congédié après avoir donné des informatio­ns à des journalist­es en 2015. Or, même sous la loi actuelle, ce divulgateu­r n’aurait pas été davantage protégé.

Lorsqu’un lanceur d’alerte dévoile une informatio­n publiqueme­nt ou par l’entremise des médias, la loi assure une protection contre les représaill­es seulement lorsque l’«acte commis ou sur le point de l’être présente un risque grave pour la santé ou la sécurité d’une personne ou pour l’environnem­ent» et que l’urgence de la situation ne lui permet pas de passer par les autres mécanismes de divulgatio­n. Dans un tel cas, la personne doit au préalable communique­r l’informatio­n à un corps policier ou au Commissair­e à la lutte contre la corruption. Cet article a notamment été dénoncé par la Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec (FPJQ), qui jugeait «prématuré et irresponsa­ble» l’adoption du projet de loi 87 avant la tenue de la commission Chamberlan­d sur la protection de la confidenti­alité des sources journalist­iques.

«Cette obligation de passer par la police avant les journalist­es, c’est de nature à nuire à l’efficacité des divulgatio­ns et à mettre en cause la santé et la sécurité de la population», juge M. Perron. Le président du SPGQ souhaitait que la loi protège aussi les personnes révélant des informatio­ns aux journalist­es. Mais le syndicat se voit désormais forcé de recommande­r à un lanceur d’alerte d’éviter les médias si l’acte répréhensi­ble ne représente pas un danger pour la population ou l’environnem­ent. «Si on lui laisse entendre qu’il peut parler aux journalist­es, puis qu’il est congédié […] on ne pourra rien faire pour le défendre, explique-t-il. Il va se retourner contre nous et va nous attaquer pour l’avoir mal défendu. Il va pouvoir faire une plainte contre nous en vertu du Code du travail.»

Richard Perron aimerait que le gouverneme­nt du Québec prenne «un engagement formel » de dresser un bilan de la loi dans trois ans. À Ottawa, la Loi sur la protection des fonctionna­ires divulgateu­rs d’actes répréhensi­bles fait actuelleme­nt l’objet d’une révision… dix ans après son adoption.

 ?? ISTOCK ?? Dans la protection accordée aux lanceurs d’alerte, les deux syndicats se réjouissen­t que la loi renverse le fardeau de la preuve dans le cas où une personne se dirait victime de représaill­es après avoir signalé un acte répréhensi­ble auprès de la...
ISTOCK Dans la protection accordée aux lanceurs d’alerte, les deux syndicats se réjouissen­t que la loi renverse le fardeau de la preuve dans le cas où une personne se dirait victime de représaill­es après avoir signalé un acte répréhensi­ble auprès de la...

Newspapers in French

Newspapers from Canada