Le Devoir

La crème solaire, en mettre ou pas ?

Des cas d’enfants affligés de « brûlures chimiques » ont semé l’inquiétude

- ISABELLE PARÉ

Même si le soleil joue à cache-cache ce printemps, l’innocuité des écrans solaires est remise en question par plusieurs parents et consommate­urs alertés par les récents cas d’enfants affectés de réactions cutanées graves. Faut-il s’alarmer?

Santé Canada a annoncé mercredi avoir reçu en cours de journée sept nouveaux rapports de réactions adverses aux produits solaires pour enfants et bébés Banana Boat, ce qui porte à dix le nombre de cas recensés depuis le début de la saison.

Plus tôt cette semaine, l’organisme de surveillan­ce canadien avait déjà annoncé son intention d’enquêter sur ces produits à la suite de plaintes déposées par trois consommate­urs de différente­s régions ca-

nadiennes — dont une mère de Cacouna au Québec — affirmant que leurs bébés ont souffert de «brûlures chimiques» après avoir été badigeonné­s avec de la crème ou des lotions pulvérisée­s Banana Boat.

Les photos de ces enfants au visage rougi, boursouflé et affecté de cloques ont largement circulé au cours des derniers jours sur les réseaux sociaux, soulevant des craintes de parents à l’égard des écrans solaires. Les recettes de lotion «maison» ont même retrouvé une certaine popularité sur Internet.

Nouveaux rapports

Santé Canada a précisé mercredi que quatre rapports de brûlures concernant des enfants âgés de 14 mois à 9 ans étaient liés à des produits Banana Boat pour enfants, alors que trois autres rapports, touchant des « bébés de 5 mois à l’âge adulte », ciblaient les produits Banana Boat Kids. Une version en vaporisate­ur pour bébé est aussi associée à la brûlure d’un nourrisson rapportée cette semaine par une mère de Terre-Neuve. La compagnie a fait l’objet de seize rapports depuis la mise en place d’un mécanisme de rapport en 1966.

Selon Maryse Durette, la conseillèr­e principale à Santé Canada, le suivi se poursuit auprès du fabricant, Edgewell Personal Care Canada, pour vérifier l’innocuité du produit. L’enquête est trop peu avancée pour dire si des ingrédient­s pourraient être ou non en cause, dit-elle.

La compagnie Banana Boat, pour sa part, affirme sur les réseaux sociaux que tous ses produits répondent aux normes de Santé Canada et que des échantillo­ns du même lot que ceux utilisés par les plaignants ont été retestés, et jugés sécuritair­es. Par contre, la page Facebook de la compagnie abonde de commentair­es négatifs de la part de consommate­urs, faisant parfois état de brûlures similaires.

Dangereux ou pas ?

Les ingrédient­s actifs utilisés comme filtres chimiques contre les rayons UVB dans les produits de protection solaire courants sont les mêmes au Canada depuis au moins 15 ans, affirme Lionel Ripoll, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi et coordonnat­eur du Départemen­t d’études spécialisé­es en cosmétolog­ie. « Depuis ce temps, Santé Canada n’a pas autorisé de nouveaux filtres, donc il s’agit de produits homologués depuis très longtemps», note ce spécialist­e.

À son avis, les études scientifiq­ues n’ont pas démenti l’innocuité des filtres chimiques actuels, mais il est toujours possible que des réactions allergique­s puissent survenir, surtout chez les jeunes enfants. Bien des facteurs peuvent entrer en jeu, notamment l’interactio­n avec d’autres produits cosmétique­s et la photosensi­bilité, dit-il.

«Ces réactions sont rares. Il faut les mettre en perspectiv­e avec les risques posés par l’exposition au soleil. Au Canada, le tiers des cancers sont des cancers de la peau », souligne M. Ripoll.

Un facteur trompeur

N’empêche que les pratiques de marketing du marché des écrans solaires ont amené certaines autorités de santé publique et l’Associatio­n canadienne de santé publique à proposer de limiter à 30 le FPS (facteur de protection solaire) de ces produits. Selon elles, les FPS élevés poussent les consommate­urs à se croire faussement protégés et à s’exposer plus longtemps au soleil. Or, la différence entre un FPS 30 (97% des rayons UVB bloqués) et 50 (98 %) est infime.

La Communauté européenne interdit quant à elle depuis 2007 l’étiquetage mentionnan­t «écran total» ou «protection totale». Les écrans solaires peuvent contenir des filtres physiques qui bloquent les rayons nocifs, notamment les UVB, alors que les filtres chimiques absorbent les rayons. Les rayons UVB sont associés au risque de cancer de la peau, alors que les UVA sont responsabl­es du vieillisse­ment prématuré de l’épiderme.

Des craintes

Le groupe de recherche et de lobby environnem­ental américain EWG allègue que les trois quarts des 1800 produits de protection solaire vendus aux États-Unis offrent une protection inférieure à celle déclarée, et que certains contiennen­t même des perturbate­urs endocrinie­ns. À la suite de désordres hormonaux observés sur des rats de laboratoir­e, l’organisme s’inquiète de la toxicité de certains composés chimiques, et non des réactions adverses, telles que celles observées cette semaine au Canada.

Au banc des accusés de EWG, l’oxybenzone, un filtre chimique qui causerait ces troubles hormonaux, du moins chez les rongeurs, et le retinyl palmitate, utilisé aussi dans les crèmes anti-âge. Mais selon le professeur Ripoll, ces produits sont inoffensif­s aux doses contenues dans les crèmes solaires, limitées par Santé Canada à 6% pour l’oxybenzone. Ce produit est aussi autorisé en Europe, au Japon, en Australie et aux États-Unis.

«Je trouve pertinent qu’il y ait des sonnettes d’alarme tirées. Par précaution, on peut choisir des filtres physiques pour les enfants, avec de l’oxyde de zinc ou de titane. Mais je m’inquiétera­is bien davantage de l’exposition au soleil que de la possibilit­é de réaction ou de l’impact potentiel allégué à l’égard de ces produits», affirme le professeur Ripoll.

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GÉRALD DALLAIRE LE DEVOIR

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