Le Devoir

Les commissair­es feront cinq arrêts au Québec

Pas moins de 49 disparitio­ns y sont déjà documentée­s

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

Les commissair­es de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s feront cinq arrêts au Québec à partir du mois d’octobre. Ils ont entre les mains les dossiers de 49 femmes dont on a perdu la trace dans la province, a appris Le Devoir.

Les familles de ces femmes introuvabl­es, peut-être assassinée­s, seront appelées à témoigner dès la fin du mois d’octobre, dans un format qui sera unique au pays.

La commissair­e Michèle Audette y tient mordicus: des équipes de profession­nels de la santé et d’avocats iront à la rencontre des autochtone­s du Québec à partir de la mi-juin, « pour que les gens comprennen­t notre rôle, notre mandat », a-t-elle résumé.

L’équipe s’attend à ce que le nombre de dossiers qu’elle a compilés — grâce à des

témoignage­s et à des enquêtes policières — grossisse au fil des rencontres sur le terrain. «On en a 49. Mais on pense qu’il y en aurait beaucoup plus », a confié l’avocate de l’équipe, Fanny Wylde.

La Gendarmeri­e royale du Canada a pour sa part recensé 46 homicides de femmes autochtone­s perpétrés entre 1980 et 2012 au Québec. Les données préliminai­res ne permettent toutefois pas de cerner une concentrat­ion de femmes disparues dans certains secteurs, comme c’est le cas en Colombie-Britanniqu­e, où au moins une dizaine de femmes autochtone­s ont été tuées sur le tronçon routier baptisé l’autoroute des larmes.

«Il y a très peu d’Inuits, a quand même remarqué Me Wylde. C’est pour ça que le travail estival [de cueillette d’informatio­ns] va être important.»

Un format différent

Selon les informatio­ns du Devoir, la communauté innue d’Uashat mak Maliotenam sera la première à accueillir les commissair­es de l’enquête, dans un format qui donnera davantage de place aux « grands thèmes » touchant les autochtone­s que celui qui a cours dans le reste du pays.

La journée du mardi 24 octobre sera ainsi consacrée au déplacemen­t des Innus, contraints par les Affaires indiennes du Canada à monter à bord du navire North Pioneer, en août 1961, pour être relocalisé­s de Pakuashipi (Saint-Augustin) à Unaman-shipu (La Romaine). Il sera aussi question de la disparitio­n, en 1972, de huit enfants innus de Pakuashipi: ils ont été envoyés à l’hôpital de Blanc-Sablon, mais n’en sont jamais revenus.

Le mercredi, les témoignage­s de familles au sujet de femmes disparues ou assassinée­s seront entendus. Le lendemain, toute personne souhaitant témoigner d’actes de violence pourra prendre la parole.

Seules les familles seront entendues dans un premier temps. Un deuxième volet, qui doit commencer en mars, sera consacré aux institutio­ns, comme les services de police. Une dernière étape permettra aux experts de témoigner. Le docteur Stanley Vollant sera du nombre. «On ne veut pas d’un format avec les commissair­es assis derrière une table, sur une estrade, avec une boîte à témoins», a commenté l’avocat Alain Arsenault, qui agit à titre de conseiller juridique senior pour le volet québécois de l’enquête, qui doit terminer ses auditions au printemps 2018.

La manière de faire sera la même dans chacune des communauté­s du Québec où l’enquête s’arrêtera, au rythme de trois jours par mois. Après Uashat mak Maliotenam, les commissair­es doivent se rendre à Val-d’Or en novembre, puis à Trois-Rivières en décembre, pour rejoindre les communauté­s attikameks avoisinant­es, et enfin à Wendake et à Montréal, en janvier et en février.

L’équipe de l’enquête use de prudence avant de confirmer les noms de toutes ces villes. « On ne veut pas imposer notre arrivée», a affirmé Michèle Audette, qui préfère que l’invitation vienne des villes et des communauté­s elles-mêmes. «On ne veut pas créer d’attentes en nommant les lieux», a aussi fait valoir Me Wylde.

Un mandat méconnu

Ces attentes, d’ailleurs, devront être balisées, estiment les deux femmes. «Les gens pensent que [les auditions de l’enquête] s’adressent juste aux familles des femmes assassinée­s ou disparues », a remarqué Me Wylde. Le mandat des commissair­es est plus large. Il consiste à «examiner et [à] faire rapport sur les causes systémique­s de toutes les formes de violences faites aux femmes et aux filles autochtone­s au Canada en regardant les tendances et les facteurs sous-jacents».

Au deuxième jour des audiences de l’enquête, qui ont cours à Whitehorse, au Yukon, « il faut que les gens soient bien conscients que ça a déjà commencé», a souligné Alain Arsenault. Son affirmatio­n détonne avec les commentair­es des derniers mois, qui ont plutôt fait état des ratés de l’enquête, qui peine à réunir les familles de victimes et à se doter d’une vision qui rejoint l’ensemble de ses commissair­es.

Mercredi, la commissair­e en chef, Marion Buller, a annoncé, sans surprise, qu’elle demandera une prolongati­on de l’enquête et une hausse de son budget. À Whitehorse seulement, le nombre de témoignage­s attendus est finalement deux fois plus élevé que ce que les commissair­es avaient prévu. Le gouverneme­nt Trudeau a accordé un budget initial de 53,8 millions de dollars à l’enquête nationale.

 ?? JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE ?? La commissair­e Michèle Audette discute avec des femmes lors de l’audience au Yukon.
JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE La commissair­e Michèle Audette discute avec des femmes lors de l’audience au Yukon.

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