Le Devoir

Économie › À la défense de l’Accord de Paris.

- FRANÇOIS DESJARDINS

Les multinatio­nales envoient un signal clair à Donald Trump: si les États-Unis se désolidari­sent du reste du monde, ils en paieront le prix.

La Maison-Blanche ne confirme rien, mais les informatio­ns voulant que Washington se retire de l’Accord de Paris ont semé mercredi incertitud­e et confusion. En attendant une annonce officielle, le Canada a tenu à réitérer son appui et l’Union européenne et la Chine seraient sur le point de faire une déclaratio­n commune lors d’un sommet à Bruxelles.

Il se targue de venir du monde des affaires, mais le président des États-Unis, en laissant planer le doute sur la participat­ion américaine à l’Accord de Paris, risque de se mettre à dos des dizaines de multinatio­nales qui l’exhortent depuis des mois à appuyer la lutte contre les changement­s climatique­s. Et qui font autant de lobbying que ceux du camp opposé.

Officielle­ment, la Chambre de commerce américaine, que certains membres influents ont quittée ces dernières années, s’oppose à l’Accord de Paris. Cette position est de moins en moins populaire. Il y a seulement trois semaines, une trentaine de sociétés (Dow Chemical, Coca Cola, Morgan Stanley, General Electric, Virgin, Unilever, etc.) ont écrit à Donald Trump pour lui signaler, sur la base de leur «vaste expérience dans le monde», le risque élevé de « conséquenc­es commercial­es négatives » en cas de retrait.

«Nos intérêts sont mieux servis par un cadre stable et pragmatiqu­e visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon efficace et équilibrée, a écrit le groupe de sociétés le 10 mai dernier. Nous sommes engagés à travailler avec vous pour créer des emplois et améliorer la compétitiv­ité américaine, et nous croyons que la meilleure façon d’y arriver est de maintenir l’adhésion à l’Accord de Paris. »

Les informatio­ns qui circulaien­t mercredi, par la bouche de sources anonymes dans les médias américains, ont provoqué une onde de choc. «J’annoncerai ma décision sur l’Accord de Paris dans les jours à venir », a lancé M. Trump sur Twitter. Le retrait américain faisait partie de ses engagement­s électoraux, mais, en vertu des modalités de l’entente, ce retrait pourrait n’arriver qu’en 2020. L’ex-secrétaire d’État américain, John Kerry, a dit: «Des milliards d’enfants devront vivre avec cette décision, quelle qu’elle soit. Pensez à eux, s’il vous plaît.»

Pertes financière­s

Toujours en mai, un autre groupe — 214 investisse­urs institutio­nnels gérant des actifs de 15 000 milliards — y allait de son propre cri auprès de chacun des gouverneme­nts du G7 et du G20. L’enjeu cette fois: le risque purement financier. «La lutte contre les changement­s climatique­s est essentiell­e à la protection de nos investisse­ments », ont écrit les signataire­s, parmi lesquels figuraient quelques noms canadiens,

comme la Banque de Montréal, Bâtirente, l’Université de Toronto et le régime Teachers.

«Je n’ai vu aucune entreprise dire publiqueme­nt qu’il faut quitter l’Accord. Même les pétrolière­s et des producteur­s de charbon ont dit qu’il faut maintenir la participat­ion», dit Michael Northrop, directeur de programmes en matière de développem­ent durable au Fonds des frères Rockefelle­r, un des signataire­s de la lettre. Le Fonds, dont la caisse avoisine 850 millions, a causé la surprise en 2014 en annonçant son intention de liquider ses placements dans les énergies fossiles.

L’impact des énergies renouvelab­les

L’appui du monde des affaires à la lutte contre les changement­s climatique­s s’est exprimé au fur et à mesure que certains morceaux sont tombés en place, dit M. Northrop. «La situation maintenant, c’est que l’énergie renouvelab­le est compétitiv­e, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. D’autant plus que l’efficacité énergétiqu­e, ça rapporte, alors qu’il y a cinq ans, c’était flou dans l’esprit de bien des gens.» Pourquoi M. Trump irait-il à l’encontre du monde des affaires? « Je ne comprends pas. »

Même la superpétro­lière ExxonMobil a été obligée de rappeler, lors de son assemblée d’actionnair­es mercredi matin, qu’elle appuie toujours l’Accord de Paris. En mars, la Maison-Blanche a sollicité son avis sur la question. ExxonMobil a répondu, en gros, que les États-Unis étaient parfaiteme­nt outillés pour concurrenc­er à l’intérieur du cadre de l’entente, d’autant plus que l’Accord mènera à des innovation­s technologi­ques et à un usage accru du gaz naturel, moins polluant que le pétrole.

L’ancien patron d’ExxonMobil devenu secrétaire d’État, Rex Tillerson, devait d’ailleurs rencontrer M. Trump mercredi après-midi, selon le New

York Times. M. Tillerson est favorable à l’Accord de Paris.

Emplois perdus

L’argumentai­re des avantages économique­s irrite profondéme­nt la Chambre de commerce des États-Unis, qui ne cesse de déplorer «les engagement­s pris par le président Obama à Paris ». Le groupe de pression, critiqué pour des prises de position qui ne cadrent plus avec celles de ses membres, a estimé que l’Accord «pourrait coûter 3000 milliards à l’économie américaine », causer la perte de

6,5 millions d’emplois d’ici 2040 et réduire de 7000$ le revenu des ménages.

À elle seule, la Chambre de commerce américaine aurait dépensé 90 millions en activités de lobbying sur des questions climatique­s en 2014. Un groupe de chercheurs a conclu, dans une étude publiée l’an dernier par l’Academy of Management Discoverie­s, que les dépenses de lobbying pour la période 2006-2009 ont atteint plus d’un milliard. L’analyse a porté sur 1141 entreprise­s.

Mais les dépenses de lobbying se font d’un côté comme de l’autre. L’étude a démontré que les sociétés qui dépensaien­t le plus en lobbying étaient soit des grands émetteurs, soit des sociétés qui émettent très peu de GES. Les moins dépensière­s? Celles qui se trouvent au milieu du peloton.

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ALAIN JOCARD AGENCE FRANCE-PRESSE Officielle­ment, la Chambre de commerce américaine, que certains membres influents ont quittée ces dernières années, s’oppose à l’Accord de Paris.
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