Économie › À la défense de l’Accord de Paris.
Les multinationales envoient un signal clair à Donald Trump: si les États-Unis se désolidarisent du reste du monde, ils en paieront le prix.
La Maison-Blanche ne confirme rien, mais les informations voulant que Washington se retire de l’Accord de Paris ont semé mercredi incertitude et confusion. En attendant une annonce officielle, le Canada a tenu à réitérer son appui et l’Union européenne et la Chine seraient sur le point de faire une déclaration commune lors d’un sommet à Bruxelles.
Il se targue de venir du monde des affaires, mais le président des États-Unis, en laissant planer le doute sur la participation américaine à l’Accord de Paris, risque de se mettre à dos des dizaines de multinationales qui l’exhortent depuis des mois à appuyer la lutte contre les changements climatiques. Et qui font autant de lobbying que ceux du camp opposé.
Officiellement, la Chambre de commerce américaine, que certains membres influents ont quittée ces dernières années, s’oppose à l’Accord de Paris. Cette position est de moins en moins populaire. Il y a seulement trois semaines, une trentaine de sociétés (Dow Chemical, Coca Cola, Morgan Stanley, General Electric, Virgin, Unilever, etc.) ont écrit à Donald Trump pour lui signaler, sur la base de leur «vaste expérience dans le monde», le risque élevé de « conséquences commerciales négatives » en cas de retrait.
«Nos intérêts sont mieux servis par un cadre stable et pragmatique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon efficace et équilibrée, a écrit le groupe de sociétés le 10 mai dernier. Nous sommes engagés à travailler avec vous pour créer des emplois et améliorer la compétitivité américaine, et nous croyons que la meilleure façon d’y arriver est de maintenir l’adhésion à l’Accord de Paris. »
Les informations qui circulaient mercredi, par la bouche de sources anonymes dans les médias américains, ont provoqué une onde de choc. «J’annoncerai ma décision sur l’Accord de Paris dans les jours à venir », a lancé M. Trump sur Twitter. Le retrait américain faisait partie de ses engagements électoraux, mais, en vertu des modalités de l’entente, ce retrait pourrait n’arriver qu’en 2020. L’ex-secrétaire d’État américain, John Kerry, a dit: «Des milliards d’enfants devront vivre avec cette décision, quelle qu’elle soit. Pensez à eux, s’il vous plaît.»
Pertes financières
Toujours en mai, un autre groupe — 214 investisseurs institutionnels gérant des actifs de 15 000 milliards — y allait de son propre cri auprès de chacun des gouvernements du G7 et du G20. L’enjeu cette fois: le risque purement financier. «La lutte contre les changements climatiques est essentielle à la protection de nos investissements », ont écrit les signataires, parmi lesquels figuraient quelques noms canadiens,
comme la Banque de Montréal, Bâtirente, l’Université de Toronto et le régime Teachers.
«Je n’ai vu aucune entreprise dire publiquement qu’il faut quitter l’Accord. Même les pétrolières et des producteurs de charbon ont dit qu’il faut maintenir la participation», dit Michael Northrop, directeur de programmes en matière de développement durable au Fonds des frères Rockefeller, un des signataires de la lettre. Le Fonds, dont la caisse avoisine 850 millions, a causé la surprise en 2014 en annonçant son intention de liquider ses placements dans les énergies fossiles.
L’impact des énergies renouvelables
L’appui du monde des affaires à la lutte contre les changements climatiques s’est exprimé au fur et à mesure que certains morceaux sont tombés en place, dit M. Northrop. «La situation maintenant, c’est que l’énergie renouvelable est compétitive, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. D’autant plus que l’efficacité énergétique, ça rapporte, alors qu’il y a cinq ans, c’était flou dans l’esprit de bien des gens.» Pourquoi M. Trump irait-il à l’encontre du monde des affaires? « Je ne comprends pas. »
Même la superpétrolière ExxonMobil a été obligée de rappeler, lors de son assemblée d’actionnaires mercredi matin, qu’elle appuie toujours l’Accord de Paris. En mars, la Maison-Blanche a sollicité son avis sur la question. ExxonMobil a répondu, en gros, que les États-Unis étaient parfaitement outillés pour concurrencer à l’intérieur du cadre de l’entente, d’autant plus que l’Accord mènera à des innovations technologiques et à un usage accru du gaz naturel, moins polluant que le pétrole.
L’ancien patron d’ExxonMobil devenu secrétaire d’État, Rex Tillerson, devait d’ailleurs rencontrer M. Trump mercredi après-midi, selon le New
York Times. M. Tillerson est favorable à l’Accord de Paris.
Emplois perdus
L’argumentaire des avantages économiques irrite profondément la Chambre de commerce des États-Unis, qui ne cesse de déplorer «les engagements pris par le président Obama à Paris ». Le groupe de pression, critiqué pour des prises de position qui ne cadrent plus avec celles de ses membres, a estimé que l’Accord «pourrait coûter 3000 milliards à l’économie américaine », causer la perte de
6,5 millions d’emplois d’ici 2040 et réduire de 7000$ le revenu des ménages.
À elle seule, la Chambre de commerce américaine aurait dépensé 90 millions en activités de lobbying sur des questions climatiques en 2014. Un groupe de chercheurs a conclu, dans une étude publiée l’an dernier par l’Academy of Management Discoveries, que les dépenses de lobbying pour la période 2006-2009 ont atteint plus d’un milliard. L’analyse a porté sur 1141 entreprises.
Mais les dépenses de lobbying se font d’un côté comme de l’autre. L’étude a démontré que les sociétés qui dépensaient le plus en lobbying étaient soit des grands émetteurs, soit des sociétés qui émettent très peu de GES. Les moins dépensières? Celles qui se trouvent au milieu du peloton.