Le Devoir

L’humanité du premier ministre

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

C’ est dans le malheur qu’on reconnaît ses vrais amis, dit le proverbe. Cela a dû faire chaud au coeur à Marc-Yvan de savoir qu’il pouvait compter sur le soutien de son ami Philippe quand il s’est retrouvé sur la sellette.

Les joyeux lurons du bureau d’enquête de Québecor ont encore tiré de leur sac à malices un courriel embarrassa­nt pour le premier ministre, qui prétendait avoir mis fin à ses rapports avec M. Côté après son retrait temporaire de la vie politique en juin 2008, à l’exception d’un souper-bénéfice pour une rivière de pêche.

Pourtant, en 2012, quand Radio-Canada a révélé que la SQ s’intéressai­t au Groupe Roche, dont Marc-Yvan Côté assurait le « développem­ent des affaires», dans le cadre d’une enquête sur le financemen­t du PLQ, M. Couillard lui avait aussitôt tendu une main secourable, l’invitant à trouver refuge dans sa maison du Lac-Saint-Jean.

«J’ai essayé de t’appeler sur ton cell afin de discuter de médias, etc. Enfin, si tu as le goût d’en discuter avec un ami et de brainstorm­er, ne te gêne pas », lui avait-il écrit. Cette invitation n’a pas été honorée, assure M. Couillard, mais elle n’en témoignait pas moins de liens passableme­nt étroits.

Il est vrai que cette amitié ne constitue pas une nouvelle. Les deux hommes étaient suffisamme­nt liés pour que le premier ministre invite M. Côté à son mariage. Il n’en a pas moins «finassé avec la vérité», comme le lui a reproché Jean-François Lisée, pour ne pas dire carrément menti.

Ce courriel ne l’implique d’aucune façon dans les malversati­ons dont M. Côté est actuelleme­nt accusé, mais il sait très bien que la population va encore trouver qu’il choisit bien mal ses amis. «Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es», dit un autre proverbe.

Il s’agissait simplement d’un «message à caractère humain », a plaidé M. Couillard. Certes, l’empathie est une belle qualité. Il est simplement malheureux que cette humanité n’ait pas empêché son gouverneme­nt de multiplier les compressio­ns budgétaire­s qui, au dire de la protectric­e du citoyen, ont affecté les plus démunis. Ils auraient certaineme­nt pu bénéficier de la sollicitud­e et de l’«aide psychologi­que» qu’il voulait offrir à M. Côté.

Il est assez savoureux d’apprendre que M. Côté craignait que son amitié pour l’ancien p.d.g. du CUSM Arthur Porter ne constitue un «os» pour la candidatur­e de M. Couillard à la succession de Jean Charest. Comme si lui-même n’était pas devenu un véritable paria depuis sa comparutio­n devant la commission Gomery et son expulsion du Parti libéral du Canada!

Le premier ministre dit avoir intimé à son ami de ne se mêler de sa campagne en aucune façon, mais cela ne l’avait manifestem­ent pas empêché de le consulter. Il est vrai que M. Côté lui avait déjà offert ses services en 2007, quand plusieurs s’attendaien­t au départ de M. Charest.

S’en prendre aux médias quand le message déplaît est un réflexe naturel pour tous les partis politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite. Le courriel de M. Couillard laisse d’ailleurs penser qu’une séance de défoulemen­t aurait fait partie de la «tempête d’idées» qu’il proposait à M. Côté.

Le porte-parole du premier ministre a très bien traduit l’exaspérati­on des libéraux: «Tout le monde sait que le traitement des “nouvelles” provenant de certains médias a pour but de ternir l’image du gouverneme­nt, du PLQ et du premier ministre.» Le leader parlementa­ire du gouverneme­nt, Jean-Marc Fournier, semble trouver qu’il y a là matière à enquête pour le Conseil de presse.

Il est certain que Pierre Karl Péladeau doit être très satisfait du travail de ses journalist­es, mais qui pourrait nier que l’intérêt public y trouve aussi son compte? Ces courriels, qui coulent avec une régularité déconcerta­nte, sont aussi véridiques que les «fake news» que Donald Trump accuse les médias américains de fabriquer de toutes pièces. Personne au gouverneme­nt n’a osé exprimer le moindre doute sur leur authentici­té.

Il est dans l’ordre des choses que l’attention des médias se concentre principale­ment sur le gouverneme­nt et le parti dont il est issu, même si le cas du député péquiste de Gaspé, Gaétan Lelièvre, a démontré qu’on peut aussi découvrir des squelettes dans les placards de l’opposition.

Le bureau du premier ministre se plaint que le passé soit continuell­ement conjugué au présent. Pourtant, il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un au gouverneme­nt reproche au PQ le déficit de 7,3 milliards qu’aurait accumulé le gouverneme­nt de Pauline Marois ou la mise à la retraite de milliers de médecins et d’infirmière­s par celui de Lucien Bouchard, il y a presque… vingt ans.

« Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es», dit le proverbe

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