Le Devoir

Du Viagra pour les nouveau-nés privés d’oxygène à l’accoucheme­nt

- PAULINE GRAVEL

Après avoir fait ses preuves pour traiter les dysfonctio­ns érectiles chez les hommes, voilà que le Viagra s’avère prometteur pour réparer le cerveau des nouveau-nés ayant été privés d’oxygène lors de l’accoucheme­nt. Une étude menée au Centre universita­ire de santé McGill (CUSM) vise à en éprouver l’efficacité.

Malgré une grossesse normale et les plus grandes précaution­s prises par la maman, il arrive que tout se complique au moment de la naissance. Le placenta se déchire, l’utérus se rompt, le bébé reste coincé.

Ces événements imprévus qui peuvent empêcher le nouveau-né de respirer et interrompr­e son rythme cardiaque sont dramatique­s, car ils peuvent entraîner des lésions au cerveau qui pourront se traduire par une paralysie cérébrale ou des troubles d’apprentiss­age et de développem­ent, voire la mort du poupon.

Ces tragédies sont relativeme­nt fréquentes puisqu’elles surviennen­t dans cinq naissances sur 1000.

Une partie des dommages peut survenir au moment où le bébé est privé d’oxygène lors de l’accoucheme­nt, mais aussi « quand le bébé a récupéré un bon rythme cardiaque et que le flux sanguin revient dans l’ensemble du corps. Comme le cerveau a souffert, il “boit” trop comparativ­ement à ce qu’il est capable de traiter, et cela déclenche toute une cascade de réactions qui cause des dommages supplément­aires au cerveau», explique Pia Wintermark, pédiatre et néonatolog­iste à l’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM.

Le seul traitement utilisé à ce jour pour ces bébés est l’hypothermi­e. «Avant que ne survienne la cascade, on met le cerveau au repos en abaissant la températur­e corporelle à 33,5 °C pendant 72 heures. Cette hypothermi­e réduit la quantité de sang qui arrive au cerveau, lequel aura ainsi moins de choses à traiter vu qu’on ne lui demande

«

Dans une prochaine étape, nous tenterons de savoir si les neurones se régénèrent ou s’il y en a moins qui meurent Pia Wintermark, pédiatre à l’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM

pas la même activité. Ce traitement fonctionne bien chez certains bébés [seulement pour un bébé sur sept], mais pas chez d’autres qui développer­ont des dommages au cerveau», précise la chercheuse.

«On croyait qu’il fallait attendre que le traitement de 72 heures soit terminé avant de savoir s’il y aura des dommages au cerveau», poursuit-elle. Mais lorsque son équipe a introduit les bébés dans un scanner durant le traitement d’hypothermi­e, elle a pu voir que, si au deuxième jour d’hypothermi­e des dommages cérébraux étaient visibles, ils étaient toujours présents à la fin du traitement, voire plus tard.

Cette étude montrait donc que l’imagerie permet de distinguer rapidement les bébés qui ne répondent pas à l’hypothermi­e.

Le Viagra

Informée d’une étude ayant démontré les effets positifs du sildénafil — dont le nom commercial est Viagra — sur le cerveau d’adultes ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC), l’équipe de la Dre Wintermark a testé le médicament sur des animaux nés à terme, mais ayant manqué d’oxygène lors de leur naissance.

Les chercheurs ont alors observé que le sildénafil diminuait l’inflammati­on et accroissai­t le nombre de cellules nerveuses dans le cerveau de ces animaux.

«Dans une prochaine étape, nous tenterons de savoir si les neurones se régénèrent ou s’il y en a moins qui meurent», affirme la scientifiq­ue.

Ces résultats prometteur­s ont été présentés à Santé Canada, qui a alors donné son autorisati­on à un essai clinique chez les nouveau-nés étant donné que le sildénafil était bien connu et déjà employé pour traiter les bébés souffrant d’hypertensi­on pulmonaire.

Les bébés qui participen­t à cette étude clinique présentent des lésions au cerveau au deuxième jour du traitement d’hypothermi­e. On leur administre alors du Viagra ou un placebo selon un protocole randomisé, et ce, pendant sept jours. Ces bébés seront suivis jusqu’à l’âge de deux ans.

Durant cette période, on évaluera leur développem­ent et on examinera leur cerveau ainsi que l’activité cérébrale en ayant recours à l’imagerie par résonance magnétique (IRM).

«Dans une première étape de l’étude, nous voulons vérifier que le sildénafil n’entraîne pas trop d’effets secondaire­s afin de pouvoir enrôler des bébés à travers tout le Canada, et ensuite nous éprouveron­s son efficacité», souligne la chercheuse, avant de rappeler que le principal effet secondaire du sildénafil est qu’il diminue la pression sanguine, ce qui entraîne une vasodilata­tion des vaisseaux sanguins, laquelle facilite l’érection masculine.

«Mais on pourrait donner des médicament­s aux bébés pour prévenir cette baisse de la pression sanguine », ajoute la néonatolog­iste, tout en faisant valoir que le Viagra est un médicament peu cher, facile à administre­r et qui pourrait même atténuer la rétinopath­ie qui affecte les prématurés.

 ?? FERNANDO ANTONIO ASSOCIATED PRESS ?? Les accidents entraînant la privation d’oxygène à l’accoucheme­nt sont relativeme­nt fréquentes puisqu’ils surviennen­t dans 5 naissances sur 1000.
FERNANDO ANTONIO ASSOCIATED PRESS Les accidents entraînant la privation d’oxygène à l’accoucheme­nt sont relativeme­nt fréquentes puisqu’ils surviennen­t dans 5 naissances sur 1000.

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