Le Devoir

Agression sexuelle : témoigner à la cour peut aider les jeunes victimes

- JESSICA NADEAU

En réponse aux craintes de plusieurs parents et intervenan­ts, qui s’interrogen­t sur les impacts d’un témoignage à la cour pour un jeune enfant victime d’agression sexuelle, une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal vient faire la démonstrat­ion que l’expérience judiciaire peut s’avérer positive dans le rétablisse­ment des jeunes victimes.

«On se pose beaucoup de questions par rapport aux procédures judiciaire­s chez les enfants victimes d’agression sexuelle, explique Isabelle V Daignault, de l’école de criminolog­ie de l’Université de Montréal, en marge du Congrès internatio­nal francophon­e sur l’agression sexuelle qui se déroule cette semaine à Montréal. On ne sait pas trop quoi faire: vaut-il mieux engager les enfants dans ces processus ou non? Est-ce que ça a un impact de les faire témoigner? Est-ce que ça va rebrasser des choses qu’ils commencent à oublier? Bref, estce que ça a des conséquenc­es négatives ou positives?»

Pour répondre à cette question, Isabelle V Daignault et ses deux cochercheu­ses, Martine Hébert, de l’UQAM, et Marilou Pelletier, de l’Université de Montréal, ont suivi une cohorte de 146 enfants de moins de 12 ans victimes d’agression sexuelle ayant été suivis en thérapie au centre Marie-Vincent à Montréal.

L’échantillo­n a été séparé en trois groupes: pour le tiers des enfants, aucune plainte n’avait été portée. Un autre tiers avait porté plainte, mais les procédures s’étaient arrêtées à l’étape de la mise en accusation, soit parce que l’auteur était un mineur ou parce qu’il y avait eu entente hors cour. Le dernier tiers avait été appelé à témoigner en cour. Fait à noter, ce dernier groupe avait entamé la démarche thérapeuti­que à la fin des procédures judiciaire­s.

Améliorati­ons significat­ives

«On observe des gains thérapeuti­ques plus importants chez les enfants qui ont témoigné à la cour et chez ceux pour qui il y a eu des procédures judiciaire­s que pour ceux pour qui il n’y a pas eu d’implicatio­n légale », constate la chercheuse, qui vient tout juste de publier ses résultats dans la revue Criminolog­ie.

Avant la thérapie, l’état de santé mentale des enfants des trois groupes était comparable.

Mais à la fin de la thérapie, le quart des jeunes ayant témoigné en cour était toujours en état de stress post-traumatiqu­e, contre la moitié pour les jeunes des deux autres groupes.

Les chercheuse­s notent également des «améliorati­ons significat­ives» en matière de culpabilit­é et d’estime personnell­e, d’anxiété et de dépression pour les enfants qui ont témoigné en cour. «C’est comme si le fait d’être plus impliqué sur le plan judiciaire, ça les rendait plus disponible­s pour le processus thérapeuti­que et qu’ils en profitaien­t davantage.»

Nuances

La chercheuse fait toutefois certaines mises en garde: «Ces résultats ne peuvent être généralisé­s à la situation de tous les enfants victimes d’agression sexuelle. Il s’agit ici de la trajectoir­e d’enfants ayant bénéficié des services d’un centre d’appui aux enfants et donc de circonstan­ces qui pourraient être décrites comme idéales, compte tenu de la concertati­on de services que favorise ce type de centre.»

Une deuxième étude en cours, avec un échantillo­n plus large et s’échelonnan­t sur une plus longue période de temps, amène également des nuances qui témoignent de l’importance de poursuivre les recherches, note la chercheuse. « Chez les enfants qui ont témoigné à plusieurs reprises, la courbe de progressio­n est différente, on note une augmentati­on de la détresse psychologi­que, des symptômes d’évitement ou d’hypervigil­ance. »

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