Le Devoir

La confidenti­alité des sources protégée par la cour

La chercheuse Marie-Ève Maillé n’aura pas à fournir ses données de recherche à Éoliennes de l’Érable

- ISABELLE PORTER À Québec

La Cour supérieure donne raison à la chercheuse Marie-Ève Maillé dans la cause l’opposant à l’entreprise Éoliennes de l’Érable et casse une décision antérieure l’obligeant à fournir ses données de recherche à l’entreprise.

Dans une décision rendue mardi, le tribunal reconnaît l’importance de protéger l’anonymat des personnes interrogée­s lors d’une recherche. Il réaffirme «le caractère essentiel de la confidenti­alité » et «la nécessité de soutenir la recherche scientifiq­ue».

Le juge Marc Saint-Pierre de la Cour supérieure de Victoriavi­lle ajoute que «l’intérêt public» déterminé par ces critères «l’emporte indéniable­ment sur la recherche de la vérité dans le présent dossier ». Son jugement infirme une décision rendue en 2016.

Mercredi, Le Devoir n’a pas été capable de joindre Éoliennes de l’Érable pour savoir si elle comptait contester la décision.

Pour ce qui est de Mme Maillé, elle s’est dite «très soulagée». Elle a en outre tenu à remercier les avocats qui l’ont représenté­e dans cette cause de façon bénévole (pro bono), soit l’équipe de M Bogdan Catanu du cabinet Woods.

«C’est une bonne nouvelle que le jugement reconnaiss­e qu’il faut protéger le lien entre les chercheurs et les participan­ts de la même manière qu’il faut protéger les indicateur­s de police et leur relation avec les policiers», a-t-elle dit.

Rappelons que la chercheuse avait produit une étude pendant son doctorat sur l’acceptabil­ité sociale d’un projet éolien qui a par la suite fait l’objet d’une action collective dans le Centre-du-Québec.

«C’est une bonne nouvelle que le jugement » reconnaiss­e qu’il faut protéger le lien entre les chercheurs et les participan­ts Marie-Ève Maillé, professeur­e associée au Centre de recherche interdisci­plinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnem­ent

Au coeur d’une action collective

Appelée à la barre comme témoin expert par les plaignants, Mme Maillé avait rendu compte des témoignage­s recueillis parmi les opposants au projet éolien.

En janvier 2016, Éoliennes de l’Érable avait obtenu une ordonnance de cour sommant la chercheuse de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) de lui fournir ses données brutes, incluant le nom des participan­ts et son journal de recherche.

Dans la communauté scientifiq­ue, cette décision en a soulagé plusieurs. «Si Mme Maillé avait été forcée de révéler ses sources, cela aurait entraîné des

conséquenc­es néfastes pour tous les chercheurs, qui auraient dorénavant peiné à recruter des volontaire­s pour participer à leurs recherches», a déclaré le président de la Fédération québécoise des professeur­es et professeur­s d’université (FQPPU), Jean-Marie Lafortune, dans un communiqué.

Plusieurs organisati­ons scientifiq­ues étaient d’ailleurs intervenue­s en faveur de Mme Maillé lors de son passage en cour à la mi-mai, dont le Fonds de recherche du Québec, l’Université du Québec à Montréal et l’Associatio­n canadienne des professeur­s d’Université.

La question de la confidenti­alité des sources a souvent été soulevée devant les tribunaux ces dernières années, notamment par des journalist­es.

Dans son jugement, le juge St-Pierre dit avoir basé son analyse sur le critère de Wigmore pour établir si le tribunal doit protéger la confidenti­alité des sources.

Inspiré par un juriste du XIXe siècle du nom de John Henry Wigmore, le critère stipule notamment que la personne doit s’être engagée à la confidenti­alité. Il faut en outre que le respect de cette confidenti­alité soit « essentiel » à la relation entre la personne qui mène à la recherche et sa source et enfin que le dommage causé par la violation de la confidenti­alité soit supérieur au bénéfice qu’entraînera­it sa divulgatio­n.

Le tribunal ne s’est toutefois pas prononcé sur un point, à savoir si le journal de recherche était protégé ou non par la Charte des droits et libertés et le Code civil en ce qui a trait au respect de la vie privée.

Un dossier toujours épineux

Mme Maillé est professeur­e associée au Centre de recherche interdisci­plinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnem­ent (CINBIOSE). Elle vient de publier avec son collègue Pierre Batelier un ouvrage intitulé Acceptabil­ité sociale: sans oui, c’est non.

Le parc de l’entreprise Éoliennes de l’Érable se trouve près de Victoriavi­lle, à Saint-Ferdinand et Sainte-Sophied’Halifax, et comprend une cinquantai­ne d’éoliennes. Il est en activité depuis novembre 2013 et fait partie des projets choisis par Hydro-Québec en 2005 pour développer la filière éolienne au Québec.

Le mécontente­ment des résidants des alentours porte notamment sur le bruit. D’ailleurs, le journal local Courrier Frontenac rapportait mercredi qu’un groupe de personnes était allé s’en plaindre de nouveau mardi au ministère du Développem­ent durable et au bureau du député caquiste d’Arthabaska, Éric Lefebvre.

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