Le Devoir

Une femme sur trois, un homme sur six

- MARIE-FRANCE OUIMET Étudiante en droit à l’Université de Montréal

La culture du viol est un fléau sociétal qui a fait couler beaucoup d’encre avec le mouvement #AgressionN­onDénoncée devenu viral sur les réseaux sociaux au moment de la polémique entourant l’affaire Ghomeshi, les campagnes de sensibilis­ation «sans oui, c’est non» en période d’initiation sur les campus ou la série télévisée 13 Reasons Why.

Pourtant, la contaminat­ion des tribunes publiques par l’ignorance et les raccourcis intellectu­els est d’actualité et démontre qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités. Les commentair­es racistes sur Internet de la juge sud-africaine blanche Mabel Janson qui suggérait que le viol fait partie intégrante de la « culture noire » et les propos misogynes tenus à la radio le 24 mai dernier par le « doc Mailloux » qui insistait sur le problème de libido d’une auditrice, davantage que sur les agressions sexuelles qu’elle rapportait avoir subies par son conjoint, en sont deux illustrati­ons parmi (trop) d’autres.

Peu importe le niveau de violence utilisée. Peu importent le lieu et l’auteur de l’agression. Peu importent les différence­s culturelle­s. Au même titre que l’habillemen­t de la victime, ce n’est pas une raison. Ni une circonstan­ce atténuante. Toute agression sexuelle demeure inacceptab­le, violente et criminelle.

Je considère que l’inadéquati­on de certaines réactions est symptomati­que d’un mal de société et d’un système lacunaire qui nous dépasse individuel­lement et qui relève de notre responsabi­lité collective.

Améliorer la prise en charge des vicitmes

Des changement­s s’imposent, notamment pour améliorer la prise en charge des victimes accompagna­nt leur dévoilemen­t et leur dénonciati­on. Par exemple, le délai suivant la dénonciati­on pour remplir une déclaratio­n détaillée et filmée peut être de plusieurs mois. Ce délai est peut-être causé par un manque d’effectifs, mais n’est certaineme­nt pas par le lot de plaintes, puisqu’uniquement 5 % des crimes sexuels sont rapportés à la police (Juristat, 2014). En effet, les agressions de nature sexuelle sont les types d’agressions contre la personne qui sont les moins dénoncées aux autorités policières.

Qui plus est, un tel délai participe à réduire les victimes au silence, à les décou- rager en les plaçant en attente et à inciter certaines à retirer leurs plaintes, en plus d’entraver leur processus de reconstruc­tion.

C’est d’autant plus troublant à la lumière du fait que la preuve d’une agression sexuelle repose parfois sur l’unique témoignage crédible et précis de la victime, et que 3 plaintes pour agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnati­on (Juristat, 2014), un doute raisonnabl­e menant à un verdict de non-culpabilit­é.

Sans parler que l’arrêt Jordan nous rappelle que la victime, un simple témoin dans l’équation, n’a pas de contrôle sur les délais qui peuvent mener à l’abandon des accusation­s criminelle­s. Sans parler non plus de certaines condamnati­ons trop clémentes en pareille matière qui frôlent le déni de justice et du risque de se faire victimiser à nouveau dans le processus judiciaire. À cet effet, rappelons les propos tenus par le juge Robin Camp, qui a démissionn­é en mars dernier, à l’occasion d’un procès à Calgary en 2014 : «Vos chevilles étaient tenues ensemble par votre jeans, votre skinny jeans, pourquoi n’avez-vous pas serré les genoux? […] Vous ne pouviez pas enfoncer vos fesses dans le lavabo pour éviter la pénétratio­n? Vous pouviez crier, si vous aviez peur. […] Le sexe et la souffrance, ça vient parfois ensemble… Ce n’est pas nécessaire­ment une mauvaise chose.»

Nous ne sommes pas le pire système de justice, mais j’espère que nos valeurs et que nos priorités québécoise­s nous permettent d’aspirer à des améliorati­ons à plusieurs égards.

Une véritable prise de conscience s’impose pour détruire les mythes, les stéréotype­s et les préjugés afférents aux agressions sexuelles. Audelà des pressions gouverneme­ntales pour éduquer davantage la population et revisiter les protocoles actuelleme­nt en place, chacun de nous devrait se sentir interpellé, car c’est ensemble que nous réussirons à briser le silence.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? À Montréal, marche pour dénoncer la culture du viol
JACQUES NADEAU LE DEVOIR À Montréal, marche pour dénoncer la culture du viol

Newspapers in French

Newspapers from Canada