Le Devoir

Un autre mauvais signal

- GÉRARD BÉRUBÉ

Le retrait du deuxième plus grand pollueur de l’Accord de Paris consacrera­it l’échec de la COP21. Et même s’il se contentait d’abaisser son engagement, le pari politique serait perdu.

Le président américain en a moins contre le fait que les États-Unis soient signataire d’un accord qui manquait déjà d’ambition dès sa ratificati­on que contre l’impact des cibles de réduction des GES sur la croissance. Mais entre un retrait de l’Accord et une réduction des engagement­s, le message serait le même. Les États-Unis sous Donald Trump n’ont que faire du réchauffem­ent climatique, qui, au demeurant, peut devenir autant d’occasions de croissance selon leur lecture. Et ils rechignent à partager la facture de 100 milliards $US promise aux pays en voie de développem­ent en appui à leur adaptation.

Selon le magazine Politico, la décision de Donald Trump serait tributaire d’un jeu d’équilibre au sein de son gouverneme­nt. Entre le positionne­ment de sa fille, de son gendre et de son secrétaire d’État, favorables à l’Accord, et celui de son conseiller Steve Bannon et du président de l’agence fédérale de l’environnem­ent (EPA), militant pour un retrait. On en serait là ! Quelle que soit la décision définitive, Donald Trump en a tout de même contre les engagement­s des États-Unis, qu’il juge néfastes pour la croissance économique. Le deuxième pollueur de la planète, avec 15% des émissions mondiales de GES, s’est engagé à les réduire de 26 à 28% pour 2025 (par rapport à 2005), avec une étape à 17% prévue pour 2020. Après quoi les efforts doivent être multipliés par deux.

Des cibles trop exigeantes, dit-il, venant d’un accord pourtant non contraigna­nt et ne reposant que sur un mécanisme de transparen­ce. Les mesures coercitive­s et les sanctions ont été remplacées par un exercice de pression diplomatiq­ue. N’empêche. La seule priorité du gouverneme­nt Trump? Donner des emplois aux travailleu­rs américains et éliminer toute réglementa­tion ayant pour effet de menacer l’indépendan­ce énergétiqu­e des États-Unis et leur compétitiv­ité.

Sur le terrain

Pourtant, sur le terrain, grandes entreprise­s et investisse­urs institutio­nnels n’ont pas attendu que la valse diplomatiq­ue prenne fin pour passer à l’action et s’engager dans le «business» de la décarbonis­ation. Les États américains ne se sont également pas laissés ralentir par l’échec de Copenhague ni par les cibles «frileuses» de la COP21, auxquelles ils ne sont pas soumis. Ce mouvement était déjà irréversib­le bien avant l’Accord de Paris tant l’exercice de modélisati­on des scientifiq­ues a tôt fait de démontrer qu’il était dépassé par la rapidité des changement­s mesurés. Il reste qu’une guidance politique est toujours souhaitabl­e.

Sur le plan économique, les ONG font pourtant valoir qu’aujourd’hui, aux États-Unis, l’industrie de l’énergie renouvelab­le et de l’efficacité énergétiqu­e emploie 13 fois plus de travailleu­rs que celle de l’extraction du gaz et du pétrole. Les économiste­s mesurent deux fois plus d’investisse­ments dans le solaire et l’éolien que dans le charbon et le gaz, un rythme allant en grandissan­t au fur et à mesure qu’il devient moins cher de produire un kilowatthe­ure avec le renouvelab­le qu’avec l’énergie fossile. Un potentiel économique que ne voit pas Donald Trump.

On le sait. Avant même la ratificati­on de l’Accord, on n’y croyait pas. Le consensus régnant alors voulait que les «contributi­ons» demandées en matière de réduction des GES soient insuffisan­tes pour contenir la hausse de la températur­e mondiale aux 2°C déterminés comme devant permettre d’éviter le point de basculemen­t. Le Climate Action Tracker parlait d’une trajectoir­e de 2,9 à 3,1°C d’ici 2100. Pour sa part, Climate Challenge soulignait alors que le seuil critique de concentrat­ion de CO2 dans l’atmosphère est dépassé depuis 1988. Que nous étions à 87% du niveau de concentrat­ion risquant de provoquer ce que les spécialist­es appellent une rétroactio­n positive. Qu’il faudrait multiplier par six le rythme annuel moyen de décarbonis­ation. Et que les engagement­s actuels se contentent de porter sur des pics d’émission s’étendant entre 2020 et 2030, repoussant la neutralité carbone à 2100.

Et l’on ramenait le tout aux dégâts que cause déjà un réchauffem­ent de 1°C de la températur­e moyenne depuis l’ère préindustr­ielle. La volonté des signataire­s de contenir le réchauffem­ent nettement sous les 2°C, idéalement à 1,5°C, envoyait, au moins, le message politique nécessaire et influait sur les choix d’investisse­ments publics. Or sans les États-Unis, les autres diront « à quoi bon ? ».

Restera l’action économique, sur le terrain, où l’urgence d’agir se manifeste.

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